L’avis du « Monde » – pourquoi pas

S’il est un film qui tombe à pic, c’est bien celui-ci. Revenge est un film de genre qui met la question du genre à l’honneur, un film de revanche féministe signé par une réalisatrice dont la brutalité et la ténacité du propos sont au diapason du combat sociétal qui vient de s’engager avec #balancetonporc. S’inscrivant dans la lignée d’un sous-genre du film d’horreur, le rape and revenge (« viol et vengeance »), le récit réunit pour une partie de chasse trois quadragénaires friqués et virils et une jeune gourde, amenée par l’un d’eux, qui fait office d’objet sexuel, dans une maison située à la lisière d’une zone désertique.

On sait que le genre – dispensateur d’une jouissance qui ne s’embarrasse pas de questions morales et qui célèbre la libération cathartique des victimes à l’encontre de leurs bourreaux – se passe ordinairement de subtilité. Coralie Fargeat, passée par Sciences Po et la Fémis, ne se contente pas d’en respecter l’esprit, elle en accuse le trait, évacuant toute psychologie, creusant jusqu’à l’os la dramaturgie, réduisant le décor à une maison et à un désert.

La structure narrative elle-même est limpide : viol, fuite, chasse à la femme, renversement des rôles. Les trois types, bas du front, abjects, sadiques, veules, sont des monstres que la réalisatrice n’hésite pas à animaliser (le lézard, œil torve sur corps adipeux, remplaçant ici le porc). La fille, jeune blonde sexy bientôt empalée sur la branche acérée d’un arbre mort (suivez la métaphore phallique), noircie de crasse et de sang séché, ravalée à l’état de souillure dégoulinante, se régénère quant à elle en pure force de résistance vitale.

Style trop clipesque

Autant dire que la simplification et le symbole sont au programme, au risque de la caricature. Les hommes y sont de fait trop débiles, la fille trop pétasse, la maison trop clinquante, le style trop clipesque, les raisons d’agir trop ineptes, les blessures trop sanglantes, le sang trop rouge, le ciel trop bleu, etc. Ce choix, évidemment assumé, vise d’une part à coller aux clichés pour mieux les retourner, d’autre part à « déréaliser » le monde pour le transformer en surface de jeu.

Le pari est-il réussi ? Il n’est pas simple de répondre à la question. Le film dispense certes de beaux moments : effets de montage inspirés, mêlés à une partition tirant vers la musique concrète, humour discret désamorçant le parti pris de la démesure, course-poursuite entre un homme mécanisé et une Diane chasseresse, trivialité poétique d’une rédemption lorsqu’une plaie cautérisée avec une canette de bière chauffée à blanc imprime sur le ventre de la fille la marque fumante d’un aigle noir.

Mais il est quand même loisible de s’interroger sur la portée d’une ambition dont le niveau de complexité s’avère, in fine, plutôt sommaire. Suffit-il, en un mot, d’inverser le stéréotype viril pour le dépasser ? De retourner contre lui-même un genre historiquement phallocratique ? Mettre en scène une femme qui cesse d’être une proie pour devenir à son tour prédatrice la rend-elle quitte de la violence qu’elle s’approprie ? Vaste question, qui vaut dans l’art comme dans la vie.

Film annonce REVENGE
Durée : 02:05

Film français de Coralie Fargeat. Avec Matilda Lutz, Kevin Janssens, Vincent Colombe, Guillaume Bouchède (1 h 48). Sur le Web : www.rezofilms.com/distribution/revenge