A Baltimore, le procès de huit policiers ripoux dépasse la fiction
A Baltimore, le procès de huit policiers ripoux dépasse la fiction
Le Monde.fr avec AFP
Depuis trois semaines, huit policiers sont jugés pour rackets, cambriolages, fausses dépositions ou vols à main armée.
Le taux d’homicides à Baltimore est le deuxième plus important au niveau national, après St. Louis (Missouri). / SPENCER PLATT / AFP
« Bunk » Moreland et Jimmy McNulty peuvent aller se rhabiller. Le créateur de la légendaire série The Wire, David Simon, n’avait sûrement pas anticipé que ses personnages principaux passeraient pour des enfants de chœur, comparés aux vrais policiers de Baltimore. Car à « Charm city », la réalité a largement dépassé la fiction.
Depuis trois semaines, un procès emblématique se tient dans cette ville de 600 000 habitants du nord-est des Etats-Unis. Sur le banc des accusés, huit policiers inculpés de rackets, cambriolages, fausses dépositions ou vols à main armée.
« Ils étaient à la fois flics et voleurs »
A l’origine du scandale se trouve la Gun Trace Task Force (« groupe de travail sur la traçabilité des armes à feu »), une unité d’élite censée traquer les armes disséminées dans les quartiers en déshérence, où l’espérance de vie des Noirs est comparable à celle d’un soldat américain en Irak en pleine insurrection sunnite.
Les débats ont jeté une lumière crue sur les dérives de ces policiers aux pratiques illégales généralisées. « Dit simplement, ils étaient à la fois flics et voleurs », a résumé le procureur Leo Wise, selon un compte rendu du journal Baltimore Sun.
Les révélations se sont ainsi enchaînées au fil des journées d’audience. Pariant sur le fait que leurs victimes, issues de la minorité afro-américaine, n’oseraient jamais déposer plainte, les enquêteurs en civil n’ont pas hésité à faire main basse sur le produit de l’argent de la drogue qui ronge Baltimore. Alors que leur mission était de récupérer les armes illégales, ils ont largement animé cette contrebande, revendant les pistolets volés au lieu de les saisir.
Les agents ripoux sont allés jusqu’à placer des dispositifs de filature par GPS sur des véhicules pour cambrioler le domicile de leurs propriétaires. Ils ont également fourni du matériel comme des gilets pare-balles à des complices pour qu’ils commettent des braquages.
Lors d’une perquisition sans mandat judiciaire, les membres de l’unité ont découvert 200 000 dollars dans un coffre-fort. Après s’être partagé la moitié de la somme, ils ont prétendu faire irruption dans la pièce pour la première fois et avoir trouvé 100 000 dollars dans le coffre. Cette mise en scène avait été soigneusement filmée par le chef d’équipe.
Deuxième taux d’homicides au niveau national
Les accusés, écroués depuis mars et qui ont comparu en combinaison de détenu, pourraient connaître le verdict à leur encontre dès vendredi, selon la durée de délibération du jury. Deux agents qui ne reconnaissent pas les faits encourent la réclusion criminelle a perpétuité. Les six autres ont plaidé coupable pour tenter d’alléger leur condamnation. Quatre d’entre eux ont en outre déposé à charge lors du procès, afin de manifester leur bonne volonté.
Ce procès, l’un des plus importants ces dernières années en matière de corruption policière aux Etats-Unis, soulève des questions importantes à plus long terme pour la métropole portuaire. Le taux d’homicides à Baltimore est bien pire qu’à Chicago : la cité est arrivée en 2017 au deuxième rang national après St. Louis (Missouri). Un bilan qui a justifié le remplacement en janvier du chef de la police.
Un renouvellement qui paraît bien faible par rapport à l’ampleur du scandale. Comment de tels agissements ont-ils perduré durant au moins cinq ans ? Les agents jugés sont-ils des brebis galeuses isolées au sein de la police de Baltimore ? L’assurance avec laquelle ils ont commis leurs méfaits laisse songeur : la police de Baltimore faisait dans le même temps l’objet d’une enquête fédérale diligentée par la division des droits civiques du ministère de la justice, et cela n’a paru effrayer aucun des accusés.
L’affaire contribue à creuser le fossé de défiance entre la police et la population de Baltimore. Une défiance qui reste vive depuis la mort, en 2015, de Freddie Gray, un Afro-Américain de 25 ans grièvement blessé aux cervicales dans un fourgon policier. « Soyez rassurés, a fait savoir dans un communiqué, jeudi, la maire de la ville, Catherine Pugh. Nous travaillons sur la culture et les pratiques de la police de Baltimore afin de générer le plus haut niveau de confiance exigé par nos concitoyens. »