Parade improvisée de Kurdes Syriens à Afrin, le 28 janvier. / DELIL SOULEIMAN / AFP

La lutte contre l’organisation Etat islamique (EI) touche à sa fin dans le nord-est de la Syrie. Et c’est aux vainqueurs qu’il revient à présent d’appliquer leur justice aux vaincus. Mais si les anciens territoires du « califat » ont changé de maître, aucune autorité internationalement reconnue ne s’exerce encore sur la rive gauche de l’Euphrate. Les Forces démocratiques syriennes (FDS, à dominante kurde), alliées de la coalition internationale victorieuse des djihadistes dans cette partie du champ de bataille, sont le bras armé d’une entité politique de facto – la Fédération de Syrie du Nord –, qui exerce une gouvernance sommaire mais structurée dans les territoires qu’elles contrôlent.

Le système judiciaire en vigueur dans les territoires désormais contrôlés par les FDS est un assemblage souple d’institutions improvisées à la faveur de la vacance du pouvoir central, correspondant aux principes idéologiques de l’encadrement kurde, et d’instances informelles d’arbitrages locaux. Aussi, la justice post-EI dans le nord-est de la Syrie, nichée dans une zone grise de la politique et du droit internationaux, répond davantage à des nécessités immédiates de stabilisation qu’aux principes d’une véritable justice transitionnelle. Plusieurs groupes de détenus syriens capturés par les FDS, combattants de base ou simples exécutants de l’EI, ont été régulièrement libérés depuis la reprise totale de Rakka en octobre 2017. Des amnisties collectives ont également été octroyées alors que les combats faisaient encore rage entre les djihadistes et leurs adversaires.

Cette relative mansuétude à l’égard des petites mains syriennes du « califat » s’explique par les capacités limitées des services de sécurité mis en place par les FDS dans les vastes territoires qu’elles contrôlent. Elle répond également à des préoccupations éminemment politiques. « On ne peut pas emprisonner une société tout entière », déclarait cet automne au Monde Fawza Youssef, une membre haut placée de l’encadrement politique des FDS, ajoutant : « Après la guerre doit venir le temps de la réconciliation. » Des notables locaux peuvent ainsi se porter garant de certains individus et organiser leur réintégration dans leur communauté d’origine. C’est un moyen de garantir la paix sociale dans des zones majoritairement arabes prises récemment par les FDS à dominante kurde.

Les cas plus graves sont déférés devant les « tribunaux de protection du peuple », qui condamnent à des peines de prison dans les structures pénitentiaires locales. Les étrangers étant exclus de fait des arbitrages locaux, c’est au sein de ces tribunaux qu’ils auraient vocation à être jugés. « A l’exception de quelques Irakiens, aucun étranger n’a encore été jugé par les tribunaux antiterroristes », indique Nadim Houry, de Human Rights Watch : « C’est un système judiciaire rudimentaire, bâti avec les moyens du bord et pas suffisamment équipé. »

Si la peine de mort est exclue, la procédure n’intègre en effet pas de rôle pour les avocats de la défense et il n’existe pas de système d’appel formel. « Nous relevons de bonnes intentions de la part des autorités, qui sont conscientes des lacunes du système, mais on est encore très loin des standards internationaux », souligne Nadim Houry. « L’attitude de la France, qui estime que nous pouvons juger les terroristes, est positive mais nous attendons davantage », indique Badran Jia Kurd, un cadre politique de la Fédération de Syrie du Nord joint par Le Monde, qui ajoute : « Nous souhaitons une collaboration concrète dans le domaine de la justice, une aide extérieure qui nous permettrait de renforcer notre système judiciaire et la sécurité de nos prisons. »