En Allemagne, « les syndicats sont en position de force pour négocier des hausses de salaires »
En Allemagne, « les syndicats sont en position de force pour négocier des hausses de salaires »
Cécile Boutelet, correspondante du « Monde » à Berlin, a répondu à vos questions sur les récentes revendications salariales des syndicats allemands.
Après une épreuve de force qui aura duré plusieurs jours, le puissant syndicat de la métallurgie, IG Metall, a obtenu mercredi 7 février une hausse des salaires de 4,3 % ainsi que le droit pour les salariés qui le souhaitent de réduire leur semaine de travail à 28 heures. Encouragés par la victoire d’IG Metall, les syndicats des services et du public réclament à leur tour de 6 % à 11 % d’augmentation. Dans un tchat avec les internautes du Monde.fr, notre correspondante à Berlin, Cécile Boutelet, a répondu à vos questions sur ces revendications salariales.
John : Quel événement est à l’origine des tensions salariales en Allemagne ? Y a-t-il eu un élément déclencheur particulier ?
Non, il s’agit simplement de la fin de la période de validité des conventions collectives. En Allemagne, dans les secteurs organisés, patronat et syndicat négocient des hausses de salaire et des améliorations des conditions de travail sur une période donnée. Pendant cette période, c’est la paix sociale qui prévaut, il n’y a pas de grève. A la fin de la période, on négocie une nouvelle convention collective.
En cas de difficulté à se faire entendre, les syndicats peuvent recourir à la grève. Cela a été le cas dans l’industrie cette fois-ci. Mais les grèves n’ont duré en fait que trois jours. Il y a eu auparavant quelques cessations de travail, de quelques heures. Le modèle allemand, c’est une convention qui vaut pour toute une branche, négociée par un seul syndicat. Dans le cas de l’industrie, IG Metall négocie pour 3,9 millions de salariés de la branche métal et électronique (Daimler, Siemens, Bosch, etc.)
Pierre : Dans quelle mesure les difficultés politiques d’Angela Merkel à former une coalition pèsent-elles sur les négociations, notamment sur la fonction publique ?
Dans le privé, les déboires de la coalition ne jouent aucun rôle. Le dialogue social en Allemagne est fortement organisé et les partenaires sociaux tiennent beaucoup à leur indépendance. C’est ce qui explique pourquoi l’Allemagne a mis tant de temps à se doter du salaire minimal inscrit dans la loi depuis 2015 (il est actuellement de 8,84 euros de l’heure).
Dans la fonction publique, les problèmes viendront plutôt des collectivités territoriales (Länder, communes), sur lesquelles le gouvernement n’a pas d’influence. Dans nombre de ces collectivités, les caisses sont pleines, car les rentrées fiscales abondent et elles ont beaucoup réduit leurs coûts ces dernières années. L’excédent budgétaire des communes était d’environ 10 milliards l’an dernier. Mais il y a de grosses différences entre les régions.
Mona : Pouvez-vous nous détailler comment fonctionnera l’accord sur les 28 heures voté chez IG Metall ?
Si vous êtes salarié d’une entreprise du secteur métal ou électronique, vous pouvez demander une réduction de votre semaine de travail jusqu’à 28 heures, sur une durée de deux ans. A l’issue de cette période, vous avez le droit de revenir à temps plein. Si vous êtes parent d’un enfant de moins de 14 ans ou que vous vous occupez d’un parent dépendant, vous bénéficiez d’une compensation, sous forme d’une augmentation du temps libre. Attention : il s’agit d’un droit et non d’une réduction générale et obligatoire de la semaine de travail. Celle-ci reste à 40 heures en général et à 35 heures dans l’industrie (38 heures dans l’industrie à l’Est).
Bruno : Existe-t-il un seul syndicat dans l’industrie allemande, IG Metall, ou y a-t-il aussi des « petits syndicats » qui ne sont jamais mentionnés ?
En Allemagne, la tradition de la codécision veut que le syndicat majoritaire négocie une seule convention collective pour une seule branche. Dans l’industrie, IG Metall est ultra-dominant, avec 2,2 millions de membres. Chez Volkswagen, plus de 90 % des salariés sont membres d’IG Metall. Dans d’autres secteurs, il peut y avoir deux syndicats qui se font concurrence, comme à la Deutsche Bahn, par exemple. Un petit syndicat joue la surenchère pour obtenir davantage, ce qui, par le passé, a entrainé des grèves longues. C’est légal, même si cela tend à être combattu par les responsables politiques, les grands syndicats et les entreprises elles-mêmes, qui n’ont pas intérêt à ces conflits sociaux.
Hans : Les salariés sont-ils les vrais gagnants de l’accord décroché par IG Metall ?
Non, l’accord est équilibré. Les entreprises ont accordé une hausse de salaire importante, mais la plupart d’entre elles vont pouvoir l’encaisser sans problème au vu de la bonne conjoncture dans l’industrie. Les carnets de commandes sont pleins. Et surtout, le chômage est faible. Dans certaines régions, il est à 3 % ou 4 %. Les entreprises peinent à trouver du personnel qualifié. Les syndicats sont donc en position de force pour négocier des hausses de salaires. Malgré tout, la hausse des salaires réels est restée limitée ces dernières années : + 0,8 % l’an dernier (hausse de 2,5 % sur la fiche de paye, mais hausse des prix de 1,7 %). Donc, la hausse du pouvoir d’achat est encore timide.
Les entreprises ont aussi obtenu du syndicat une augmentation de la flexibilité du temps de travail. Elles ne pouvaient jusqu’ici déroger à la durée légale que dans certaines circonstances, et dans une limite claire : seuls 18 % des salariés d’une même entreprise étaient autorisés à travailler plus de 35 heures. Aujourd’hui, le système est plus souple. Les salariés peuvent demander à baisser leur temps de travail jusqu’à 28 heures. En contrepartie, les employeurs peuvent proposer à certains employés de travailler davantage, jusqu’à 40 heures. La négociation se fait au sein de l’entreprise, sans que le syndicat soit nécessairement impliqué.
Virginie : Y a-t-il vraiment plus de petits boulots mal payés (les fameux « jobs à 1 euro ») en Allemagne qu’en France ? Si oui, pour quelle raison ?
Il faut faire la différence entre les petits boulots mal payés et les « jobs à 1 euro ». On ne parle pas forcément de la même réalité. Le secteur des bas salaires reste important en Allemagne : il correspond à environ 20 % du total des emplois. Ils se retrouvent surtout dans les services, où les entreprises sont petites et où les salariés ne sont pas organisés. Dans ces secteurs, le modèle du dialogue social traditionnel ne fonctionne plus, c’est la raison pour laquelle le pays s’est doté du salaire minimal. Les « jobs à 1 euro » sont une mesure destinée à remettre les chômeurs de longue durée au travail. Ces derniers bénéficient des allocations-chômage et ils peuvent se voir proposer ce genre de contrat, limités dans le temps et en nombre d’heures de travail par semaine.
Rebset : Ces revendications salariales peuvent-elles avoir un impact positif sur la compétitivité française en Europe ?
Oui, dans une certaine mesure. Les salaires devraient augmenter nettement en Allemagne dans les prochains mois, ce qui va forcément avoir un impact sur les coûts des produits « made in Germany ». Mais il faut bien garder en tête que la compétitivité allemande n’est que partiellement une compétitivité liée aux prix. Elle se caractérise surtout par des produits d’équipement, de niche, où la qualité compte plus que le prix. Si vous êtes une industrie agroalimentaire, par exemple, vous avez besoin d’une machine pour emballer vos produits. Vous êtes prêt à la payer très cher, car tout défaut ou panne peut paralyser votre production. C’est sur ce genre de produit – les machines situées en amont de la production – que les Allemands sont les plus compétitifs.