James Dyson, en septembre 2016 à New York. Jason Kempin/Getty Images for Dyson/AFP / Jason Kempin / AFP

Fondateur de l’entreprise qui porte son nom, l’inventeur britannique James Dyson, 70 ans, emploie 9 000 salariés dans 75 pays. Selon lui, la créativité est une qualité primordiale, qui doit être encouragée.

Vous avez créé les aspirateurs sans sac, les ventilateurs sans pale, vous voulez réinventer, d’ici à 2020, la voiture ­électrique. La créativité, cela s’apprend ?

La créativité n’est pas nécessairement ­innée, et je pense qu’elle peut être enseignée. Il s’agit avant tout d’avoir un esprit ­curieux, d’avoir la capacité de ne pas faire la « bonne chose » tout le temps, et même parfois de faire la « mauvaise chose », juste pour voir ce qu’il se passe. Parce que cela vous place sur un ­chemin différent. Bien sûr, tout le monde n’est pas à même de faire cela, mais je pense que vous pouvez créer un ­environnement pour encourager les gens à être différents, à devenir créatifs et à ne pas vouloir toujours faire ce qu’on leur a dit « être la bonne chose à faire ».

Qu’entendez-vous par environnement créatif ?

Si on donne à chacun du courage, si on ne critique pas systématiquement les idées des autres, si on n’est pas cruel quand quelqu’un fait une suggestion étrange, on crée un environnement où presque tout le monde peut être créatif. J’espère que certaines personnes qui viennent travailler ici [chez Dyson] et qui ne pensent peut-être pas être des innovateurs finissent par innover.

Pourquoi embauchez-vous un grand nombre de jeunes diplômés ?

J’ai toujours embauché de jeunes diplômés, mes quatre premiers salariés étaient de jeunes ingénieurs. Comme nous ne voulons pas, dans notre entreprise, faire ce qui a été fait auparavant, et que nous souhaitons éviter toute idée préconçue, il est préférable de travailler avec des jeunes qui n’ont aucune expérience. L’expérience peut être une entrave… et j’aime l’enthousiasme naïf. Il n’y a rien de mal à être naïf, les gens s’en inquiètent, mais je pense que c’est une qualité très importante dans le monde de demain.

Vous venez de créer une « université Dyson », accessible après le lycée. ­Pourquoi vous lancer dans une telle aventure ?

Nous avons toujours recruté beaucoup de diplômés, et ils sont très bons, mais nous n’en avons jamais assez. D’où la création de cette université qui propose un ­modèle différent. L’âge moyen ici est de 26 ans. Et nous recrutons tout autant des diplômés de 21 et 22 ans que des jeunes qui sortent du lycée à 17 ans. C’est la première du genre depuis l’adoption par le gouvernement britannique du Higher Education and Research Act, en avril.

Ces étudiants ne travaillent pas avec des chercheurs à l’université, mais avec de vrais ingénieurs et scientifiques de l’entreprise. Pendant quatre ans, ils vont avoir chaque ­semaine un ou deux jours de travail académique, puis trois ou quatre jours de travail réel, pour inventer, développer des produits, faire de la technologie et de la recherche. Ils sont payés, salariés, ils ont un contrat. Nous leur construisons des logements, et la formation est gratuite. A la fin des quatre ans, ils peuvent rester avec nous ou partir.

Comme ils n’ont pas les vacances universitaires et sont ici quarante-sept semaines par an, je pense qu’à la fin, ils n’auront pas seulement eu deux fois et demie plus de temps d’enseignement [qu’ils n’en auraient eu à l’université], j’espère qu’ils seront de vrais ingénieurs avec un niveau bien plus élevé que celui qu’ils auraient obtenu à l’université. Je suis très ambitieux, mais c’est ce que j’espère !

Qu’est-ce qui manque dans la façon dont nous éduquons la jeune ­génération ?

Je pense que les écoles manquent à leur raison d’être en n’apprenant pas à être créatif et à penser par soi-même. Nous ­enseignons aux gens à se souvenir des faits, et ce n’est qu’une toute petite partie de la vie. Une fois que l’on quitte l’école ou l’université, dans la plupart des emplois, il ne s’agit pas de se souvenir des faits mais de créer quelque chose. Qu’on soit journaliste ou responsable marketing. Qu’on travaille dans le domaine du droit ou celui de la comptabilité. Passer les examens n’est pas si important. Ce qui l’est plus, c’est la capacité de penser, de réagir, de communiquer avec les gens, de trouver de bonnes idées et de les faire fonctionner.

Vous employez 9 000 salariés. Qu’avez-vous mis concrètement en place pour rester agile et conserver cette jeune ­génération ? Il paraît que, deux fois par semaine, toute personne ayant une idée peut vous la soumettre…

Le défi est en effet d’attirer des gens brillants et intelligents qui peuvent penser très différemment et de façon créative. Pour ce faire, on doit leur montrer qu’on les apprécie, non par des déclarations, mais par des actions quotidiennes. Ces personnes doivent aimer travailler avec nous, sentir qu’elles se réalisent, qu’elles créent des choses. Tout en sachant bien qu’on ne peut pas les forcer à rester !

Nous avons un réel avantage, me semble-t-il, nous ne sommes pas une entreprise cotée en Bourse avec des exigences de rentabilité dictées par des actionnaires. L’entreprise m’appartient, et mon fils travaille maintenant avec moi. Nous sommes tous deux passionnés par les nouvelles technologies et les nouveaux produits. Nous passons la plupart de nos journées à discuter avec les personnes des idées qu’elles ont. Nous les encourageons à construire des prototypes, à les tester. Nous avons, je crois, créé un type d’entreprise différent.

D’ailleurs, les jeunes ne veulent pas de bureau et préfèrent être totalement mobiles. Nous sommes ici sur un grand campus où nous avons de plus en plus de cafés, ­petits et grands, pour que les gens puissent discuter. Ils ne s’envoient pas des mails pour communiquer, ils ont de vrais dialogues, et c’est ça, la façon de créer de l’enthousiasme et… des inventions.

Si vous aviez un enfant de 16 ans, quel conseil lui donneriez-vous pour trouver sa voie ?

Je ne donne jamais de conseils, parce que je n’ai jamais suivi les conseils des autres ! La vérité est que le monde de ­demain sera très différent, les changements vont être très rapides. Ce n’est pas vraiment un monde très sûr, ce n’est pas un monde dans lequel on peut adopter une attitude suffisante. Je donnerai donc un non-conseil : n’attendez rien de l’avenir. Soyez curieux, et ne vous inquiétez pas de choisir un domaine très limité et d’en devenir un expert, vous n’avez pas besoin d’être généraliste.

Participez à « O21 / S’orienter au 21e siècle »

Pour aider les 16-25 ans, leurs familles et les enseignants à se formuler les bonnes questions lors du choix des études supérieures, Le Monde organise la seconde saison d’« O21 / S’orienter au 21e siècle », avec cinq dates : après Nancy (vendredi 1er et samedi 2 décembre 2017, au centre Prouvé) et Lille (vendredi 19 et samedi 20 janvier 2018, à Lilliad), rendez-vous à Nantes (vendredi 16 et samedi 17 février 2018, à la Cité des congrès), avant Bordeaux ( vendredi 2 et samedi 3 mars 2018, au Rocher de Palmer à Cenon) et Paris (samedi 17 et dimanche 18 mars 2018, à la Cité des sciences et de l’industrie).

Dans chaque ville, les conférences permettront au public de bénéficier des analyses et des conseils, en vidéo, d’acteurs et d’experts, et d’écouter et d’échanger avec des acteurs locaux innovants : responsables d’établissements d’universités et de grandes écoles, chefs d’entreprises et de start-up, jeunes diplômés, etc. Des ateliers sont aussi prévus.

Il reste des places pour participer à O21 Nantes ! Pour toutes les villes, les inscriptions se font gratuitement via ce lien.

En images : les temps forts d’O21, nos conférences pour s’orienter au 21e siècle, à Nancy

Pour inscrire un groupe de participants, merci d’envoyer un e-mail à education-O21@lemonde.fr. L’éducation nationale étant partenaire de l’événement, les lycées peuvent organiser la venue de leurs élèves durant le temps scolaire.