« On assiste à la fin d’une politique de démocratisation du savoir »
« On assiste à la fin d’une politique de démocratisation du savoir »
Propos recueillis par Agathe Charnet
Pour la sociologue Annabelle Allouch, le concours transforme le rapport à la connaissance, qui devient purement utilitariste.
Un amphithéâtre de l’université de Mont-Saint-Aignan, près de Rouen, le 11 ocobre 2017. / CHARLY TRIBALLEAU / AFP
Annabelle Allouch est maîtresse de conférences en sociologie à l’université de Picardie-Jules-Verne et auteure de La Société du concours. L’empire des classements scolaires (Seuil, 2017). Elle regrette « l’esprit de concours » qui souffle sur l’université française.
Prévue pour la rentrée 2018, la sélection à l’entrée à l’université fait-elle basculer l’université dans une logique de concours propre aux grandes écoles ?
Depuis une dizaine d’années, il y a une extension du domaine de concours des universités. Les établissements mettent en œuvre des filières sélectives, comme les bi-licences. Ces modifications ont anticipé la réforme et l’ont rendue acceptable. Avec la réforme, on constate donc une mise en conformité des étudiants, un esprit de concours et de compétition permanente.
L’expérience du scolaire fondée sur le concours perpétuel n’est plus le propre des classes préparatoires ou des étudiants en grandes écoles, mais devient une norme de comportement, à laquelle il faudrait forcément adhérer. Le rapport à la connaissance devient purement utilitariste. Et c’est aussi la fin d’une politique de démocratisation du savoir. Ce qui est très inquiétant, lorsqu’on sait que le diplôme protège du chômage.
L’université française a-t-elle les moyens de développer cet esprit de concours ?
Il y a une volonté des responsables d’université d’entrer dans ce jeu-là, tout en sachant qu’ils n’arriveront jamais à concurrencer les grandes écoles. Le nerf de la guerre, ce sont les moyens. Les universités ont un ratio de financement par élève bien inférieur aux grandes écoles publiques comme Normale-Sup ou Polytechnique.
Quand on a dans une grande école 300 étudiants et dans une université 20 000 étudiants, la qualité de l’accueil n’est pas la même. Il faut que l’Etat investisse à la hauteur de ces 20 000 étudiants qui ont tout autant droit à l’accès à un service public digne de ce nom.
Avec la sélection, il y a l’idée d’enfin revaloriser l’université et d’entrer dans les classements internationaux. Or, le déficit en termes de moyens sera toujours le même… Non seulement les établissements sont mis en concurrence et sont hiérarchisés, mais ils transmettent ce rapport au monde aux étudiants.
Ce désir de classement correspond-il à une conception française du concours ?
On retrouve des processus de sélection drastiques et extrêmement valorisés dans de nombreux pays – même s’ils ne sont pas désignés par le terme de concours. Aux Etats-Unis ou en Angleterre, par exemple, les familles qui souhaitent la filière la plus prestigieuse pour leurs enfants investissent massivement. Le concours est donc autant un processus social qu’une forme institutionnelle qui vise à transformer des microdifférences académiques en statuts sociaux pérennes.
La spécificité française s’appuie sur une légitimité politique extrêmement forte qui relève de l’ancrage dans le modèle républicain. Le concours incarne le contrat social entre l’Etat et les citoyens, la promesse de la reconnaissance d’un talent. L’habillage idéologique est différent, mais la sélection et le processus social sont les mêmes, aussi bien en France qu’à l’international.
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Le Monde publie, dans son édition datée du jeudi 8 février, un supplément dédié aux nombreux concours de l’enseignement supérieur, qu’il s’agisse de l’accès aux études de médecine, aux grandes écoles, et des « prépas » qui permettent de les réviser. Ses différents articles sont progressivement mis en ligne sur Le Monde.fr Campus, rubrique Concours.