Pita Taufatofua porte le drapeau des îles Tonga lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, vendredi 9 février à Pyeongchang. (AP Photo/Jae C. Hong) / Jae C. Hong / AP

On se faisait du souci pour ses bronches. Pita Taufatofuaavait bien tenté de nous rassurer : non, bien sûr que non, le skieur du Pacifique ne défilerait pas torse nu pour la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques d’hiver 2018, à Pyeongchang. « J’aurai besoin de rester au chaud, il fera bien trop froid », assurait-il au Monde, en escale à Londres, quelques jours avant de s’envoler pour la Corée du Sud.

Pita Taufatofua,le Tongien en pagne aux Jeux de Rio a remis ça à Pyeongchang pour lesJO d'hiver2018
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L’homme sait ménager ses effets ! Et c’est ainsi que le porte-drapeau et seul représentant du royaume des Tonga aux Jeux d’hiver a finalement bien paradé torse nu dans un froid terrible, vendredi 9 février, les caméras du monde entier fixant son étendard blanc et rouge. Torse nu et huilé, collier au cou, natte autour de la taille : exactement la même tenue d’apparat qu’à Rio de Janeiro, il y a deux ans, pour ses premiers Jeux olympiques. Ceux d’été.La natte s’appelle une ta’ovala. « Vous connaissez ce mot ? » Le sportif sourit. Heureux d’avoir fait connaître aux curieux cette vêture traditionnelle et, avec elle, un peu de la culture tongienne. Pita Taufatofua, 34 ans, disputera l’épreuve de ski de fond (15 km libre) comme il avait participé à celle de taekwondo, il y a deux ans : pour faire valoir « l’héritage millénaire de [ses] ancêtres, leur culture ».

Trop maigre pour le rugby

Au Brésil, des dirigeants de sa délégation l’avaient invité à porter une cravate pour les festivités olympiques. « J’ai dit non, explique-t-il en anglais, langue nationale avec le tongien. J’ai refusé de porter, pour l’occasion, ce que la culture occidentale avait voulu que mes ancêtres portent pendant des décennies.» Ancien protectorat britannique, le royaume des Tonga a accédé à son indépendance en 1970. Un petit Etat : de nombreuses îles dans le Pacifique, à peine plus de 100 000 habitants et une température qui refuse de descendre sous les 20 °C.

Mais un grand pays, dans le cœur du skieur. Pita Taufatofua est né en Australie, il y vit toujours, sa mère en est originaire. Mais il a bien grandi aux Tonga, d’où vient son père.« J’étais un métis. Un enfant différent des autres. Le plus petit et le plus maigre de la classe [il pèse désormais près de 90 kg]. » Une enfance faite de persévérance. « Pendant quatre ans, j’allais à chaque entraînement de rugby à l’école, mais on ne m’a jamais fait jouer un match. Même pas cinq minutes. Je restais remplaçant, je donnais aux titulaires de l’eau, des oranges, et pourtant, je ne manquais pas une séance… »

Le Tongien Pita Taufatofua à Londres avant son départ pour Pyeongchang. / Abbie Trayler-Smith pour Le Monde

Ce petit-fils de pêcheur a d’abord partagé sa chambre avec trois frères et autant de sœurs. « Nous avons vécu dans la pauvreté, comme la majorité des gens aux Tonga. » Son père a réussi dans l’agriculture, sa mère comme infirmière. « Chaque sou qu’ils gagnaient, mes parents l’investissaient dans notre éducation. » Diplôme sous le bras, l’étudiant a finalement quitté sa formation d’ingénieur pour travailler comme assistant social auprès de jeunes en difficulté, à Brisbane. «Des ingénieurs, j’en ai vus. Deux ans après leur diplôme, ils avaient plus d’argent, une voiture plus rapide, une plus grosse maison, mais ils n’étaient pas forcément heureux. J’ai suivi ce que mon cœur m’a dit de faire. »

Les Jeux olympiques font depuis longtemps partie du programme. A 12 ans, le gamin levait déjà au ciel une grande lettre « P ». D’autres camarades l’imitaient avec un « A », un « E » et un autre « A ». Tous acclamaient ce jour-là le boxeur Paea Wolfgramm, médaillé d’argent aux Jeux 1996 d’Atlanta, de retour dans la capitale tongienne, Nuku’alofa. La seule médaille olympique dans l’histoire des Tonga, « quelque chose d’important » ! Deux décennies plus tard, Pita Taufatofua a été éliminé des Jeux de Rio dès le premier tour de son épreuve de taekwondo. En ski de fond, il s’attend aussi à rencontrer des embûches, le 16 février. « J’espère que je finirai la course le même jour que le vainqueur ! » Le participant peut blaguer, il a déjà gagné : « J’ai déjà accompli mon rêve de devenir un athlète olympique. »

Ski à roulette et mannequinat

L’histoire est belle, et il commence à savoir la raconter. Le Tongien s’est qualifié pour les Jeux d’hiver après « seulement douze semaines sur de vrais skis » en l’espace d’une année. Le reste du temps, il l’a passé à s’entraîner en Australie sur des skis à roulettes, « à regarder des vidéos YouTube », à échanger des messages avec un entraîneur allemand que connaissait la Royal Tonga Ski Federation. Au point de plomber ses finances personnelles : entraînement et surtout déplacements ont nécessité des dépenses de 35 000 dollars (28 500 euros) – « j’ai fait des prêts et j’y ai mis mes économies » –, une somme supérieure à tout l’argent récolté sur Internet auprès de ses soutiens.

Le Tongien Pita Taufatofua à Londres avant son départ pour Pyeongchang. / Abbie Trayler-Smith / Abbie Trayler-Smith

En 2014, le précédent et jusqu’à présent seul Tongien à avoir disputé les Jeux d’hiver avait trouvé un autre mode de financement, plus radical : le lugeur Fuahea Semi avait accepté de changer d’identité pour devenir Bruno Banani, du nom d’une marque allemande de sous-vêtements et de parfumerie. Plutôt que de juger ce compatriote, Pita Taufatofua dénonce surtout le manque de soutien dont il a lui-même souffert : « Mon manageur avait envoyé des e-mails aux principales compagnies de ski, avec mon poids, ma taille. Juste pour savoir quel modèle ils nous recommandaient, pas pour en avoir gratuitement. » Fin de non-recevoir, raconte-t-il : « En retour, on recevait des réponses indiquant je n’étais pas assez bon pour utiliser leurs skis. Cet air d’arrogance m’a vraiment ennuyé. » Le nouveau porte-parole des « pays exotiques » aux Jeux d’hiver compte transmettre le message aux dirigeants du Comité international olympique, qui exploitent déjà ses traits télégéniques pour entretenir l’illusion d’un événement universel.

Depuis son « happening » de Rio, l’Océanien a aussi reçu plusieurs sollicitations pour travailler dans le mannequinat et le cinéma. « Aux Etats-Unis, un agent m’a dit que j’avais à changer mon nom, il l’estimait trop compliqué à retenir pour les spectateurs. Je lui ai répondu que j’avais simplement à faire en sorte que les gens le connaissent. » En hommage à l’île volcanique de Tofua, à laquelle il doit la seconde moitié de son patronyme.