Au Bénin, la formation des professeurs a retrouvé son cours
Au Bénin, la formation des professeurs a retrouvé son cours
Par Pierre Lepidi (Porto Novo, Bénin, envoyé spécial)
La classe africaine (23). Le corps professoral a souffert de fortes restrictions budgétaires pendant plus de vingt ans. En 2011, le taux d’analphabétisme atteignait 58 %.
L’interruption correspond au temps d’une génération. Pendant vingt-trois ans, de 1987 à 2010, aucun enseignant n’a officiellement été formé au Bénin. « Au milieu des années 1980, le pays était plongé dans une crise économique tellement grave qu’il a fallu réduire drastiquement les dépenses de l’Etat, se souvient Germain Gonzalo, directeur de l’Ecole normale supérieure (ENS) de Porto Novo, capitale administrative du Bénin. En quinze années de régime “marxiste-léniniste” [au temps de la République populaire du Bénin, de 1975 à 1990], le nombre de fonctionnaires était devenu pléthorique, passant de 7 000 à 47 000. Près de 80 % du budget de l’Etat servait alors à payer les agents de la fonction publique. Sous la pression du Fonds monétaire international (FMI), les vagues de licenciement dans l’administration se sont multipliées, les embauches ont été gelées et les départs à la retraite, anticipés. »
Le domaine de l’éducation a largement souffert et cette diète budgétaire, et il en paie encore les conséquences : en 2017, 25 % seulement des enseignants du secondaire étaient qualifiés. Selon une enquête de l’Unesco de 2011, le Bénin se classe sur la liste des dix premiers pays à fort taux d’analphabétisme (58 %).
Infographie "Le Monde"
Cette absence de formation des professeurs agréés par l’Etat pendant près d’un quart de siècle a été partiellement compensée par des vacataires dont l’enseignement était souvent sommaire. « C’est ce qui explique pourquoi le niveau des élèves est aujourd’hui assez faible, notamment en français, déplore Germain Gonzalo. Ils comptent d’importantes lacunes en culture générale et ils ne lisent plus. »
Initiation et tutorat
Depuis 2010, la formation des professeurs et des instituteurs a repris son cours. Il y a trois ENS au Bénin, chacune ayant des filières spécifiques : à Porto Novo (langues, lettres modernes, histoire-géographie et philosophie), à Natitingou (mathématiques, physique et sciences de la vie et de la Terre) et enfin à Lokossa (enseignement technique : électricité, comptabilité…).
Dans le pays de 11 millions d’habitants, on compte une soixantaine de langues, dont le fongbè, qui est de loin la plus parlée (24 % de la population) et le yoruba (8 %). Mais, dans la Constitution, c’est le français qui est proclamé langue officielle. C’est la langue de l’Etat, de l’administration, de la justice et c’est aussi celle qui est aujourd’hui privilégiée par le gouvernement : 20 % des élèves boursiers inscrits à l’ENS ont choisi la filière français, 15 % ont préféré l’anglais ou l’histoire-géographie, et 10 % l’allemand.
Recrutés après le baccalauréat, les futurs professeurs suivent une formation en trois ans qui leur permet, après concours, d’obtenir le Certificat d’aptitude pédagogique. Le coût annuel de la formation est de 500 000 francs CFA (environ 760 euros). La première année est faite de trente à quarante heures de cours par semaine. Lors de la deuxième année, les élèves réalisent un semestre de cours, puis un second en stage d’initiation professionnelle accompagnés d’un tuteur. Pendant la troisième année enfin, ils doivent assister à des cours de méthodologie, rédiger et soutenir un mémoire de fin de cycle, puis effectuer un stage au cours duquel ils devront se retrouver en situation d’enseignement.
« J’aime l’éloquence »
« Nous obtenons un taux de réussite au concours qui est de l’ordre de 70 %, assure Germain Gonzalo. Ceux qui échouent sont des élèves dont la présence en cours est trop irrégulière. » Une fois le diplôme validé, les affectations sont décidées par une commission qui attribue les places en fonction des postes vacants.
Entre les élèves de l’ENS de Porto Novo, les motivations pour devenir professeur diffèrent. Gibbor-Silas Agbodjogbe, en première année, a choisi d’enseigner la langue de Shakespeare pour faire comme sa mère « qui transmet son savoir à la nation » et parce que « donner la connaissance est une grâce, une bénédiction ». Constance N’Dcha, 19 ans, espère devenir professeur pour le respect qui émane de cette fonction. Elle rêve également d’enseigner l’anglais mais n’exclut pas, « après quelques années dans le corps professoral, de bifurquer vers l’interprétariat ».
Maxime Adjahossou, étudiant en deuxième année de lettres modernes, parle d’une véritable vocation. « J’ai annoncé urbi et orbi que je souhaitais devenir professeur, mais mes parents s’y sont toujours opposés, raconte-t-il. J’ai passé le concours d’admission de l’ENS en secret et j’ai été reçu. J’aime parler en public, j’aime l’éloquence. » Tous les futurs profs ont eu un enseignant qu’ils ont admiré au point un jour de vouloir l’imiter. « Léopold Satoguina, un enseignant que j’ai eu en classe de seconde, avait un don pour capter l’attention des élèves, se souvient Maxime Adjahossou. Il avait la pédagogie, la connaissance… Il avait tout. J’aimerais tellement lui ressembler ! »
Ils ont tous conscience que les conditions d’exercice sont difficiles et que le métier est mal rémunéré. Au Bénin, un enseignant titulaire du Brevet d’aptitude au professorat de l’enseignement secondaire (BAPES) gagne 150 000 francs CFA par mois. Il enseigne dans des classes surchargées de 50 à 80 élèves. Mais le sens du devoir l’emporte. « Le salaire m’intéresse finalement assez peu, assure Bénédicte Totefon, 22 ans, en troisième année de lettres modernes. Le manque de connaissance est la base de tous les fléaux de notre société. L’essentiel pour moi est d’acquérir du savoir et de le partager. »
Sommaire de notre série La classe africaine
De l’Ethiopie au Sénégal, douze pays ont été parcourus pour raconter les progrès et les besoins de l’éducation sur le continent.