La Turquie bloque l’exploration de gisements de gaz au large de Chypre
La Turquie bloque l’exploration de gisements de gaz au large de Chypre
Par Marie Jégo (Istanbul, correspondante)
Les convoitises autour des ressources sous-marines sont un obstacle à la réunification de l’île.
Près de Larnaca, à Chypre, en octobre 2017. / Petros Karadjias / AP
La tension est montée d’un cran entre la République de Chypre et la Turquie, après que la marine turque a bloqué l’accès d’un navire italien à des gisements gaziers situés au large des côtes de l’île de la Méditerranée.
Tout a commencé vendredi 9 février, lorsqu’une plate-forme de forage affrétée par le géant italien de l’énergie ENI a été stoppée par des vaisseaux turcs qui lui ont ordonné de faire halte sous prétexte de « manœuvres militaires ». Lundi 12 février, la plate-forme était immobilisée à cinquante kilomètres de sa zone de forage au sud-est des côtes chypriotes, face à la marine turque déterminée à faire barrage.
« Nous essayons d’éviter tout ce qui pourrait aggraver la situation, sans ignorer le fait que les actions de la Turquie bafouent le droit international », a déclaré dimanche le président chypriote Nicos Anastasiades. Bien que tout à fait légitimes, les explorations gazières menées par la République de Chypre, en toute souveraineté dans sa Zone économique exclusive (ZEE), n’ont pas l’heur de plaire à Ankara. Dans un communiqué, le ministère turc des affaires étrangères a dénoncé les actions « unilatérales » de Chypre, qui spolient « les droits des Chypriotes turcs, copropriétaires de l’île, sur ses ressources naturelles », créant « un obstacle majeur à la solution du problème ».
Espoirs de réunification évanouis
L’île a été divisée en deux en 1974 lorsque l’armée turque, appelée en renfort face à un coup d’Etat orchestré par des nationalistes chypriotes grecs, a envahi la partie nord. Non reconnue par la communauté internationale, cette partie dépend de la Turquie qui la subventionne économiquement et maintient sur place 35 000 soldats. Ankara réclame la suspension de l’exploration tant qu’une solution ne sera pas trouvée. Or l’espoir de voir un jour l’île réunifiée s’est évanoui en juillet 2017 à Crans-Montana (Suisse), lorsque les dernières négociations menées sous l’égide de l’ONU se sont soldées par un échec.
L’incident autour des gisements n’est pas le premier du genre. En 2014, la Turquie avait dépêché un navire de recherche sismographique dans la zone, ce qui avait poussé Chypre à se retirer des négociations bicommunautaires en signe de protestation. Décrite parfois comme un possible catalyseur de la réunification, la découverte de gisements de gaz est devenue un obstacle.
Pour le moment, Nicosie joue la retenue. Nicos Christodoulides, le porte-parole du gouvernement, a indiqué mardi à la télévision chypriote RIK qu’il misait sur la fin des manœuvres militaires turques dans la zone, prévue pour le jeudi 22 février. Le gouvernement chypriote et ENI sont résolus à poursuivre l’exploration de gisements gaziers offshore jugés prometteurs.
La veille des manœuvres turques, l’italien ENI et le français Total avaient annoncé la découverte d’importantes réserves de gaz, a priori « d’excellente qualité », au large de Chypre. Associées pour l’exploitation, par 3 800 mètres de fond, du bloc 6, appelé Calypso, les deux majors doivent encore procéder à des évaluations.
Projets de gazoducs sous-marins
Treize blocs supposés riches en gaz ont été délimités au large de l’île. Ils excitent l’appétit des géants de l’énergie. La firme américaine Noble doit développer le bloc 12. La plate-forme d’ENI, interceptée vendredi, faisait route vers le bloc 3. ExxonMobil et Qatar Petroleum ont signé, l’an passé, un accord avec le gouvernement chypriote pour l’exploration du bloc 10. Ce gisement jouxte l’immense champ gazier égyptien de Zohr, découvert par ENI en 2015.
Une fois le gaz extrait, il faudra l’exporter, car les foyers chypriotes ne sont pas un débouché offrant un marché suffisant. D’ores et déjà, des projets de gazoducs et d’oléoducs sous-marins sont en discussion entre Chypre, l’Egypte et Israël. Or, Ankara a des relations compliquées avec ces deux derniers Etats. Il n’y a plus d’ambassadeur de Turquie au Caire depuis 2013 et réciproquement. Les relations avec Israël, bien que florissantes sur le plan commercial, sont mises à mal par les sorties enflammées du président Erdogan, proche du Hamas et chantre de la cause palestinienne.