Qu’est-ce que la T2A, qui cristallise les tensions à l’hôpital ?
Qu’est-ce que la T2A, qui cristallise les tensions à l’hôpital ?
Par Eléa Pommiers
Le gouvernement a promis mardi de réformer l’offre de santé et notamment de s’attaquer à la T2A, le mode de financement très critiqué au sein de l’hôpital public.
Les craintes concernant le système de santé français ne manquent pas. Désertification médicale, fermeture d’hôpitaux, manque de praticiens hospitaliers… Mais, à l’hôpital public, la bête noire est un court acronyme : T2A, pour tarification à l’activité. Instaurée en 2004 pour corriger les effets jugés pervers d’un système de financement global, elle devrait à son tour être « corrigée » par le gouvernement.
Le premier ministre, Edouard Philippe, a annoncé mardi 13 février une « réforme globale » du système de santé et promis que de nouveaux modèles de financement seraient introduits « d’ici la fin de l’année 2019 » pour remédier aux effets indésirables de la T2A.
Qu’est-ce que la tarification à l’activité ?
La T2A représente aujourd’hui 70 % des ressources des hôpitaux publics, mais elle est aussi le mode de financement des établissements de santé privés. Comme son nom l’indique, elle rémunère les établissements en fonction de l’activité médicale qu’ils réalisent. Elle s’applique aux activités de médecine, de chirurgie, d’obstétrique et d’odontologie.
Sous une apparence technique, le principe en est relativement simple. Concrètement, grâce à un codage informatique, les patients sont regroupés en « groupes homogènes de malades », eux-mêmes regroupés en plusieurs « groupes homogènes d’hospitalisation » en fonction des diagnostics et des actes médicaux pratiqués. A chacun de ces groupes (près de 2 300), le ministère de la santé applique chaque année un tarif, sur la base duquel l’Assurance maladie rembourse l’établissement.
Pourquoi a-t-elle été mise en place ?
Depuis 1984 et jusqu’en 2004, les hôpitaux étaient financés par un budget global reconduit chaque année, qui ne s’adaptait que peu – voire pas – aux variations d’activité.
S’il permettait aux hôpitaux d’avoir de la lisibilité sur leur budget, il était critiqué sur tous les fronts pour son caractère inefficace. D’une part, la dotation globale pénalisait les établissements dont l’activité augmentait et qui ne pouvaient se développer faute de ressources suffisantes. A l’inverse, elle était accusée de créer une situation de rente pour ceux dont l’activité baissait d’une année sur l’autre.
En 2004, la T2A est donc plébiscitée à droite comme à gauche comme un moyen d’optimiser les dépenses et le fonctionnement de l’hôpital. Le ministre UMP de la santé, Jean-François Mattei, expliquait alors qu’il n’y avait « pas d’alternative ». Comme Jean-Marie Le Guen, alors député socialiste, qui déclarait en 2003 que cette réforme était « indispensable (…) pour l’hôpital public ».
Quelles sont les critiques qui lui sont faites ?
Elles sont légion dans les hôpitaux, qui subissent des difficultés budgétaires chroniques depuis sa mise en œuvre. En 2017, leur déficit était compris entre 1,2 et 1,5 milliard d’euros, soit deux fois plus qu’il y a dix ans.
La T2A est surtout critiquée pour la « course à la rentabilité » qu’elle entraîne insidieusement. Elle peut en effet inciter à réaliser le plus d’actes possibles pour ramener de l’argent à l’hôpital. Contrairement à sa vocation initiale, rationaliser les dépenses, la T2A se révèle donc inflationniste. Elle peut également encourager à mettre l’accent sur certains actes bien rémunérés. En 2014, le ministère de la santé notait ainsi une augmentation du nombre de séjours en chirurgie à l’hôpital public.
En effet, tous les actes ne sont pas valorisés de la même manière : si l’acte technique (comme les interventions chirurgicales) est bien rémunéré, la prévention ou la longue prise en charge (psychiatrie, maladies chronique, suivi des personnes âgées) le sont beaucoup moins, voire pas. Or, l’hôpital ne peut pas se spécialiser dans les activités rémunératrices et délaisser les autres, au risque de faillir à sa mission de service public. Pour ses détracteurs, la T2A place donc immanquablement l’hôpital en situation de difficulté financière.
C’est pourquoi l’Etat fournit toujours des financements forfaitaires ainsi qu’une dotation de financement pour les « missions d’intérêts générales ». Mais la part de ces dotations dans le budget des hôpitaux tend à se réduire, et l’Etat en baisse continûment le montant depuis plusieurs années afin de limiter les dépenses.
Autre point de tension : l’évaluation des tarifs. L’activité des hôpitaux a globalement augmenté depuis quinze ans. Mais pour contenir l’évolution des dépenses de santé et le déficit de la Sécurité sociale, le ministère réduit les tarifs. Le cercle est vicieux : les médecins sont alors obligés d’en faire davantage pour que l’hôpital espère conserver les mêmes ressources.
Quelles sont les pistes de réforme envisagées ?
Pour les médecins les plus critiques du système de la T2A, comme le professeur André Grimaldi, il serait plus pertinent d’imaginer un mélange entre différents modes de financement. Si la tarification à l’activité fonctionne bien pour des activités techniques et standardisées, M. Grimaldi recommande en revanche un financement au prix de journée pour les soins psychiatriques, et une dotation globale pour les malades chroniques.
Durant sa campagne, Emmanuel Macron avait promis de plafonner à 50 % la part de la T2A dans le financement des hôpitaux. Pour y parvenir, le gouvernement s’est engagé à proposer de nouveaux modèles de financement qui devront « mieux refléter l’état de la population » et « mieux tenir compte de la prévention et de la qualité des soins ». Ils seront élaborés par une équipe d’experts et présentés d’ici à la fin de l’année 2019.