Benyamin Nétanyahou, un premier ministre cerné par les affaires
Benyamin Nétanyahou, un premier ministre cerné par les affaires
Par Piotr Smolar (Jérusalem, correspondant)
Le chef du gouvernement israélien, dont la police a recommandé l’inculpation pour corruption dans les dossiers « 1 000 » et « 2 000 », est mis en cause dans de multiples autres enquêtes.
En transmettant ses conclusions soigneusement soupesées, mardi 13 février, dans deux enquêtes visant Benyamin Nétanyahou, la police place le sort du premier ministre israélien entre les mains d’un homme : le procureur général, Avichaï Mendelblit. C’est lui qui doit décider d’une éventuelle inculpation pour corruption, fraude et abus de confiance, recommandée par les policiers. Cerné par les enquêtes, le chef du gouvernement se trouve dans une situation délicate depuis des mois. Ces affaires le mettent en cause directement, lui et sa famille, ou bien son plus proche entourage, dont il est difficile de concevoir qu’il ignorait les agissements.
Le dossier 1 000, ou les cadeaux oligarchiques
C’est la première enquête dans laquelle la police recommande une inculpation du premier ministre. Benyamin et Sara Nétanyahou et leur fils Yaïr sont suspectés d’avoir bénéficié des largesses de deux milliardaires, le producteur d’Hollywood Arnon Milchan et l’Australien James Packer. Le premier leur a notamment fourni des livraisons régulières de champagne et de cigares, ainsi que des bijoux pour Sara Nétanyahou, pour un montant total de 240 000 euros. Le premier ministre assure qu’il s’agissait de cadeaux entre amis, mais la presse israélienne affirme que les enquêteurs ont identifié des demandes précises, formulées par le couple.
Arnon Milchan aurait cherché, selon les enquêteurs, à obtenir une extension de son visa aux Etats-Unis et à bénéficier de l’aide du premier ministre pour promouvoir ses intérêts sur le marché de la télévision. Surtout, M. Nétanyahou aurait soutenu un projet de législation – finalement rejeté – réduisant les impôts pour les citoyens rentrant en Israël après un long séjour à l’étranger. La police recommande aussi l’inculpation de M. Milchan. Quant à Yaïr, il aurait bénéficié de séjours luxueux, avions et hôtels payés, grâce aux bons soins de James Packer.
Le dossier 2 000, quand le premier ministre se passionne pour la presse
La seconde affaire dans laquelle la police suggère une inculpation met en cause les liens entre Benyamin Nétanyahou et le propriétaire du quotidien Yediot Aharonot, Arnon Mozes. Les policiers disposent d’enregistrements entre les deux hommes, qui envisagent un pacte compromettant, aux dépens de Sheldon Adelson. Ce dernier est un milliardaire américain, magnat des casinos, qui a créé en 2007 Israel Hayom, un quotidien gratuit à grand tirage, devenu un instrument de communication au service du premier ministre.
Dans ses conversations avec Arnon Mozes, M. Nétanyahou propose de soutenir un projet de loi pour réduire la circulation d’Israel Hayom, grand rival du Yediot. En échange, Arnon Mozes organiserait une couverture plus favorable de son journal sur les activités de M. Nétanyahou. Ce dernier prétend qu’il ne s’agissait que d’une conversation à bâtons rompus. L’ancien chef de cabinet du premier ministre, Ari Harow, qui dispose de nombreuses informations, a accepté de témoigner au profit de l’accusation, pour s’épargner d’autres poursuites.
Les liens entre Benyamin Nétanyahou et Israel Hayom ont été illustrés de façon spectaculaire par le journaliste Raviv Drucker, de la chaîne Channel 10 News. Celui-ci a obtenu, au nom de la loi sur la transparence et sur décision de la Cour suprême, la liste des appels passés par le premier ministre à Amos Regev, alors rédacteur en chef du journal gratuit, au moment des élections législatives de 2013. En 19 jours, les deux hommes avaient parlé quinze fois. En outre, entre 2012 et 2015, M. Nétanyahou s’est entretenu à près de 160 reprises avec Sheldon Adelson.
Frais de bouche
Le 8 septembre 2017, le procureur général a confirmé que Sara Nétanyahou, l’épouse du premier ministre, serait inculpée pour fraude. Il est reproché au couple d’avoir abusé de l’argent public – à hauteur de 84 000 euros – pour des frais de résidence non justifiés. Les Nétanyahou mettent en cause la responsabilité entière de l’ancien concierge de la résidence, Meni Naftali, qui devrait témoigner comme témoin de l’accusation.
Plusieurs autres enquêtes préliminaires visant le couple Nétanyahou pour de faux contrats de travail passés avec des employés à la résidence ont été fermées, faute de preuves suffisantes, a expliqué le parquet général. A l’automne, une employée de la communauté ultraorthodoxe, qui a travaillé quelques semaines auprès de Sara Nétanyahou, a déposé nommément plainte contre elle pour harcèlement et mauvais traitement.
Le dossier 3 000, ou les sous-marins allemands contestés
L’enquête ne vise pas nommément Benyamin Nétanyahou, mais elle est, politiquement, chargée de menace. Elle ne met pas seulement en cause la gestion de l’argent public et des allégations de pots-de-vin, mais la sécurité nationale. Le dossier porte sur les négociations et l’achat de trois sous-marins à l’Allemagne, selon les termes d’un contrat signé en février 2016, pour un montant d’1,5 milliard d’euros. Et ce alors Israël possédait déjà cinq sous-marins allemands, un sixième devant lui être livré en 2018.
En février 2017, une enquête criminelle a été ouverte, après des investigations préliminaires de la police. Il est apparu que David Shimron, avocat personnel, confident de longue date et cousin éloigné du premier ministre israélien, servait aussi de conseiller auprès du représentant local du constructeur naval allemand ThyssenKrupp, Michael Ganor. David Shimron aurait utilisé son entregent et ses contacts officiels pour promouvoir les intérêts de ThyssenKrupp. Il a été à nouveau interrogé, le 5 novembre 2017, par l’unité anticorruption Lahav 433.
Soupçonné de blanchiment et de corruption, Michael Ganor a aussi été interpellé. Il est devenu un témoin de l’accusation, donnant du poids à l’enquête policière, par son témoignage et les documents qu’il possède. Michael Ganor a joué un rôle central dans les rapports exclusifs entre le groupe allemand et le gouvernement israélien. Celui-ci était en discussion, à l’origine, avec la Corée du Sud pour l’achat des navires, avant de modifier curieusement ses exigences techniques dans un sens correspondant davantage à l’offre de ThyssenKrupp.
L’enquête policière avance dans plusieurs directions, tant les intermédiaires et les hauts fonctionnaires suspects ou nécessitant d’être entendus comme témoins sont nombreux. Début septembre, ce fut au tour de l’ancien chef de cabinet de M. Nétanyahou, David Sharan, d’être interrogé.
Dossier 4 000, dans le secteur des télécoms
Le directeur général du ministère des communications, Shlomo Filber, est accusé d’avoir permis au groupe Bezeq d’acquérir illégalement des actions du fournisseur de télévision par satellite Yes. Il aurait aussi transmis au groupe des documents confidentiels et œuvré à défendre ses intérêts. Or Benyamin Nétanyahou a gardé, jusqu’en février 2017, le portefeuille des communications. C’est lui qui avait nommé à son poste Shlomo Filber.
Selon un rapport du contrôleur d’Etat, Joseph Shapira, datant de juillet, de nombreuses infractions auraient été commises dans les relations entre le ministère et Bezeq. Les liens entre le premier ministre et le propriétaire de Bezeq, Shaul Elovitch, sont scrutés de près, en raison de soupçons de conflits d’intérêts. D’autant que M. Nétanyahou n’a pas fait toute la transparence sur l’étroitesse de ces liens, au moment de prendre la direction du ministère. Selon les enquêteurs, M. Elovitch aurait gagné illégalement 170 millions de shekels (40,5 millions d’euros) dans l’affaire entre Bezeq et Yes.
L’expérience des affaires
Benyamin Nétanyahou est rompu à l’épreuve des scandales. En 1997, par exemple, la police avait déjà recommandé son inculpation pour fraude et abus de confiance, pendant son premier mandat, sans être suivie par le parquet général. Il était soupçonné d’avoir tenté de promouvoir un affilié au poste de procureur général pour aider l’un de ses alliés politiques. En 2011, le premier ministre israélien avait été au cœur d’une enquête intitulée « Bibi Tour », qui mettait en cause ses frais de voyage ainsi que ceux de sa famille, dans les années 2000. Le parquet général avait fini par fermer le dossier, faute de preuves.
Mais l’affaire qui a marqué les esprits remonte à 1993. Agé à l’époque de 43 ans, M. Nétanyahou postule à la tête du Likoud. Il est jeune, il incarne la relève, il est imprégné de culture et de politique américaine. Il confesse une aventure extraconjugale sur un plateau de télévision. Dans le même élan, il dénonce une tentative de chantage exercée contre son couple. L’affaire se dégonflera vite.