En Afrique du Sud, la chute de l’empire de la famille Gupta
En Afrique du Sud, la chute de l’empire de la famille Gupta
Par Adrien Barbier (Johannesburg, correspondance)
La relation sulfureuse de la puissante fratrie indienne Gupta avec le président Zuma est au cœur d’une saga qui tient le pays en haleine depuis 2013.
La police sud-africaine devant la résidence de la famille Gupta, le 14 février 2018. | JAMES OATWAY / REUTERS
Leurs destins sont irrémédiablement liés. Alors que Jacob Zuma vit probablement ses derniers instants à la tête de la République d’Afrique du Sud, la puissante fratrie Gupta, au cœur du scandale de « capture de l’Etat » qui a précipité la chute du chef de l’Etat, prend le chemin de la prison.
Mercredi 14 février à l’aube, l’unité d’élite de la police, les Hawks, a procédé à l’arrestation de trois personnes à la résidence des Gupta de Saxonwold, leur quartier général situé dans une banlieue huppée de Johannesburg. « Deux autres suspects devraient bientôt se rendre d’eux-mêmes », a précisé le porte-parole des Hawks, Mangwani Mulaudzi.
L’identité des cinq suspects n’a pas encore été révélée, et sera confirmée jeudi lorsqu’ils apparaîtront devant le juge, au tribunal de Bloemfontein (centre). Mais déjà, les médias locaux spéculent sur la présence d’au moins l’un des trois frères Gupta, Ajay.
Empire financier
Ces premières arrestations, très attendues, ne sont que le début de la fin pour les Gupta, la famille la plus honnie d’Afrique du Sud. « Nous avons encore beaucoup à faire. D’autres opérations vont être lancées. A Saxonwold, nous avons terminé, donc nous allons nous rendre à d’autres adresses pour être sûrs de tout finaliser », a précisé M. Mulaudzi. Ashok Nayaran, l’un des très proches associés de la fratrie, et Peter Thabete, un membre de l’administration, ont également été arrêtés mercredi.
Les Gupta sont au cœur d’une saga qui tient l’Afrique du Sud en haleine depuis 2013, et qui s’est muée en plus grand scandale politico-financier depuis la fin de l’apartheid. Cette famille originaire d’Inde est accusée d’avoir infiltré le sommet de l’Etat sud-africain grâce à leur amitié avec Jacob Zuma. Influence sur les choix de ministres, pressions pour empocher des contrats publics, versements de pots-de-vin : les ramifications de leur emprise sur le chef de l’Etat ont outré le public sud-africain, les médias, et désormais la justice.
En 1993, l’arrivée discrète des frères Gupta donne pourtant naissance à une success-story propre à l’Afrique du Sud libérée de Nelson Mandela. Partis de l’Etat indien de l’Uttar Pradesh dont ils sont issus de la bourgeoisie locale, ils ouvrent une petite boutique d’assemblage et de vente d’ordinateurs en banlieue de Johannesburg, au moment où le grand public se met à l’informatique.
En une vingtaine d’années, ils ont bâti un empire financier qui emploie plus de 4 000 personnes et s’étend sur les mines de charbon, d’uranium, les médias et le transport aérien. Atul, le cadet des frères, qui a commencé sa vie en vendant des chaussures sur les marchés aux puces indiens, était en 2016 la septième fortune d’Afrique du Sud, pesant 6,6 milliards d’euros.
Relation sulfureuse avec « Zupta »
Un succès dans les affaires qui va de pair avec un certain flair politique. Dès les années 1990, ils misent sur le bon « cheval », Jacob Zuma, au moment où personne ne lui prédisait un destin présidentiel. Leur relation sulfureuse – depuis surnommée « Zupta » par les médias sud-africains – éclate au grand jour en 2013 lorsqu’un avion transportant 200 convives pour un mariage organisé par la fratrie atterrit à la base militaire de Waterkloof, sans que personne sache qui en a donné l’autorisation.
A la fin de 2016, un rapport explosif de la médiatrice anticorruption Thuli Madonsela – que Jacob Zuma tentera par tous les moyens de faire interdire – enfonce le clou. Celui-ci montre notamment comment leur luxueuse propriété de Saxonwold sert d’antenne à la présidence, où les Gupta jaugent les potentiels ministres, rencontrent les présidents d’entreprises publiques, et font transiter les valises de cash.
A la mi-2017, les fuites des « Guptaleaks », des centaines de milliers d’e-mails sortis tout droit de l’une de leurs nombreuses sociétés, offrent une ribambelle de preuves matérielles de leurs méfaits. Malgré cela, la justice a pris son temps jusqu’à maintenant. Mais depuis l’élection d’une nouvelle direction à la tête de l’ANC, les événements s’accélèrent. En janvier, Jacob Zuma a été contraint de nommer une commission d’enquête sur la « capture de l’Etat », et un procureur a ordonné le gel d’une partie de leurs avoirs. « Moins de deux mois après que Cyril Ramaphosa a accédé à la présidence de l’ANC, il semble que l’Etat de droit fonctionne à nouveau en Afrique du Sud », analyse l’éditorialiste Adriaan Basson.
D’après les Hawks, l’opération policière de mercredi est liée à un dossier dans lequel les Gupta sont suspectés d’avoir bénéficié frauduleusement de fonds publics versés par la province du Free State (centre du pays) pour un projet d’exploitation laitière. Un curieux retour aux sources : c’est par ce montage que les Gupta auraient payé l’équivalent de 30 millions de rands de dépenses pour le mariage de 2013, point de départ de la saga. Une toute petite somme comparée à ce qu’ils sont suspectés d’avoir détourné. Leurs ennuis judiciaires sont donc partis pour durer.