Etudiants et parents, deux vies en une
Etudiants et parents, deux vies en une
Par Caroline Pain
Cinq pour cent des étudiants sont aussi parents. Reportage à Lille, où une crèche universitaire accueille les enfants pour permettre aux parents de décrocher leur diplôme.
Jérémy et Laure sont étudiants à l’université de Lille. Leur fils Noah a eu 2 ans en janvier / CAROLINE PAIN / « Le Monde »
Emmitouflé dans un plaid en polaire, Noah peine à ouvrir les yeux. Biberon à la main, le petit garçon se réveille doucement, alors que les premiers rayons du soleil apparaissent derrière les immeubles de brique rouge. Laure et Jérémy, ses parents, se préparent. Sur un des murs de leur appartement de Roubaix, un cadre rassemble des photographies et une date, le 12 janvier 2016. Celle de la naissance de Noah, quelques mois avant qu’ils passent leur bac. « C’était un choix, assure Laure, 19 ans, en donnant un biscuit à son fils. Nos parents ne le savaient pas trop, mais pour nous c’était un choix. J’ai toujours voulu être mère jeune. »
Ils font désormais partie des 5 % d’étudiants qui sont aussi parents, selon une étude publiée par l’Observatoire de la vie étudiante (OVE) en octobre 2017. Avoir un enfant a d’ailleurs déterminé leur lieu d’études. « On a regardé les universités qui proposaient des crèches. Paris, c’était impensable à cause du coût de la vie. Il y avait Lyon, mais c’était quand même assez loin… alors on a choisi Lille », explique Laure, elle-même originaire de la région parisienne, tandis que son compagnon est du Nord. Le fait d’être parents s’est aussi répercuté sur leur choix de logement. Faute de trouver un appartement suffisamment grand et en bon état dans leurs moyens au centre-ville, ils se sont installés à Roubaix, à une demi-heure de métro de leurs facultés respectives.
Aujourd’hui étudiants en deuxième année de licence à l’université de Lille (Nord), ils viennent d’apprendre qu’ils ont validé leur semestre. « En psychologie pour Laure et en droit pour moi. C’est une super nouvelle », s’exclame le jeune homme de 20 ans, soulagé. Les périodes d’examen, « c’est une question d’organisation : quand l’un de nous est en révisions, on va chez nos parents, ou alors nos parents viennent nous donner un coup de main quand ils peuvent. »
« Les profs sont assez compréhensifs »
Le reste du temps, Laure et Jérémy se passent le relais. Le lundi étant moins chargé, Jérémy s’occupe de Noah, tandis que Laure file à un rendez-vous. Puis lui part en cours, et c’est elle qui emmène l’enfant aux Kangourous câlins, la crèche de l’université de sciences humaines, ouverte du lundi au vendredi de 8 heures à 18 h 30. « En général, c’est plutôt moi qui viens chercher Noah, comme les cours de Jérémy se terminent souvent plus tard », explique Laure en retirant les chaussures de son fils. Le jeune couple s’organise comme il peut, entre travaux dirigés (TD), cours magistraux et examens. « Les profs sont assez compréhensifs en général. Ou alors, c’est qu’ils sont un peu gênés de la situation, » ajoute-elle en souriant.
Noah, le fils de Laure et Jérémy vient à la crèche des Kangourous Câlins tous les jours. / Caroline Pain / Le Monde
La crèche aussi fait preuve de souplesse. Le nombre d’heures où le couple leur confie Noah varie en fonction du programme de chaque semestre, sans compter les imprévus. « Les parents nous donnent les créneaux en avance pour le mois entier. Mais on sait bien que cela peut changer à la dernière minute, on essaie toujours de s’arranger, explique la directrice, Laurence Gin. Les Kangourous câlins, qui accueillent pour moitié des enfants du personnel enseignant et administratif de l’université, et pour moitié des enfants d’étudiants. Parmi ceux-là, « les profils sont très différents : des mères seules, des couples étudiants, des reprises d’études ou des parents étrangers dont la mère apprend le français ».
Les tarifs de cette crèche associative sont fixés en fonction des revenus. Laure et Jérémy paient en moyenne 50 euros par mois, pour 122 heures. « On s’en sort bien financièrement : on a 370 euros par mois d’aides au logement, 600 euros de RSA, environ 150 euros pour les trois premières années du petit, calcule Jérémy. Quand nos parents viennent, on profite de leur voiture pour faire le plein de courses. » Le jeune père avait pensé travailler comme serveur pendant sa pause déjeuner, mais finalement cela ne leur faisait pas vraiment gagner plus, puisque leur RSA aurait été recalculé. « Pendant le premier semestre, on a gardé deux jeunes enfants tous les dimanches, c’était l’occasion pour Noah de rencontrer d’autres enfants et pour nous de se faire un peu d’argent. »
Devenir parent
Les Kangourous câlins sont aussi un lieu de rencontre pour les étudiants parents. « J’y vais moins souvent que Laure, relate Jérémy, mais on a noué des liens avec la maman du meilleur copain de Noah. Ils devraient passer nous voir à l’appartement la semaine prochaine. »
Pour Charlotte, doctorante en histoire, l’existence de la crèche a été déterminante dans sa décision d’avoir un enfant. « Si je n’avais pas entendu parler des Kangourous câlins, je ne me serais peut-être pas lancée dans la maternité, ou en tout cas j’aurais réfléchi à mettre de côté ma thèse », témoigne la trentenaire. Après la naissance de Victoire, ce lieu lui a aussi permis de trouver soutien et conseil. « Quand on tombe enceinte, toutes nos copines nous disent, “Tu vas voir, ça va venir naturellement, c’est super la maternité !” Mais ce n’est pas vrai, c’est comme tout, ça s’apprend. Et heureusement qu’ici j’ai pu en parler, parce que certaines fois, j’avais l’impression de tout faire à l’envers. »
Laurence Gin confirme que certaines mères arrivent parfois à la crèche un peu déboussolées. « En venant ici, les étudiantes rencontrent d’autres personnes dans leurs cas, ça leur permet de se sentir moins isolées. » Et d’ajouter, « certaines ont trois casquettes : mère, étudiante et salariée. Il arrive que nous les orientions vers des personnes ou des structures habilitées à leur venir en aide, des assistantes sociales ou la médecine universitaire, par exemple. »
La crèche universitaires des Kangourous câlins accueille les enfants d’étudiants et personnels du lundi au vendredi. / CAROLINE PAIN / « Le Monde »
Dans le secteur des bébés, Christine récupère son fils, Slowan, âgé de 8 mois. Elle avait 19 ans, et étudiait le droit à Bordeaux, quand elle est tombée enceinte. « J’ai arrêté en cours de route, ça ne m’intéressait pas trop, et Slowan est né… » En quête d’une université avec une crèche pour les étudiants, elle a déménagé à Lille pour poursuivre ses études. Les débuts ont été un peu compliqués, son fils ne prenant pas de biberons. « Comme la crèche est sur le campus, je pouvais venir régulièrement pour allaiter, ce qui n’aurait pas été possible si j’étudiais loin d’ici… » Aujourd’hui en première année de LLCE (langues, littératures et civilisations étrangères) espagnol, « ça se passe bien », dit-elle d’une voix calme en fermant les pressions de la grenouillère en polaire de son fils, qui la regarde tendrement. « A la maison, il n’y a que lui et moi, alors il en profite, il fait le coquin », expose-t-elle.
« Ce n’est pas simple de rencontrer des gens à la fac »
Du fait de la naissance de leur fils, Jérémy et Laure n’ont pas vécu leurs premières années de fac comme des étudiants lambda. « Je ne suis pas vraiment une fêtarde qui fait des grosses soirées avec plein d’alcool, dit Laure. Pour Jérémy, c’est un peu plus dur. » « C’est vrai qu’à la base, ce n’est pas simple de rencontrer des gens à la fac, surtout sans faire partie des soirées. On doit mettre de côté toutes ces choses-là », reconnaît le jeune homme. Les deux étudiants ont gardé des liens avec leurs amis du lycée, qui leur rendent visite régulièrement. « Ils demandent toujours comment va Noah, ils veulent venir le voir ! »
Jérémy explique que devenir père à 18 ans lui a demandé de faire preuve d’adaptation. « Laure n’a eu aucun problème à ne faire qu’un avec Noah, c’est vraiment ce qu’elle voulait. De mon côté, ça m’a demandé quelques ajustements. » Le jeune homme se souvient comment à la naissance, tout le monde prenait des nouvelles de sa compagne et de son fils, mais peu de lui. Il est allé voir une psychologue pour se faire aux nombreux changements, comme le passage de la vie dans un village du Nord, à celle dans un immeuble d’une grande ville.
Alors, à la question de savoir s’ils prévoient d’agrandir la famille, Jérémy répond sans hésitation. « Pour le moment, on va se concentrer sur nos études et Noah ; on a déjà grillé une étape… », lâche-t-il dans un sourire.