JO d’hiver 2018 : Au Liban, les coups fourrés de la qualification olympique
JO d’hiver 2018 : Au Liban, les coups fourrés de la qualification olympique
Par Clément Guillou
Deux jeunes skieurs représentent le Liban aux épreuves de ski alpin à Pyeongchang. Leur récit illustre la difficulté de progresser en restant au pays et l’enjeu que représente une place aux Jeux olympiques.
Natacha Mohbat à l’arrivée de son slalom aux JO de Pyeongchang, le 16 février 2018. / MIKE SEGAR / REUTERS
Ils étaient en train d’échanger des pin’s – une passion olympique – avec un collectionneur américain, à quarante-cinq minutes du départ de la descente. Dans un premier temps, je me suis dit que ce n’était pas très sérieux de ne pas être déjà en haut, mais les trois représentants libanais étaient juste là pour admirer les champions.
Natacha Mohbat, 19 ans. Allen Behlok, 21 ans. Romain Garcin, leur entraîneur de Serre-Chevalier, 34 ans. On a pris le télésiège ensemble et tout de suite ils ont tenu à me raconter une histoire importante : comment un skieur libanais avait, selon eux, tenté de gruger les règlements de la fédération pour chiper sa place aux Jeux olympiques à Allen.
La veille, le skieur en question avait perdu devant le Tribunal arbitral du sport (les juristes et passionnés de sélection olympique liront avec délice la décision ici, en anglais) ; le groupe est soulagé.
Pour résumer, le premier critère fixé par la fédération libanaise pour obtenir la seule place du Liban en ski alpin chez les hommes (slalom et slalom géant) était de finir dans les trois premiers du championnat national, une série de 11 courses. Le vainqueur de cette série était ensuite qualifié pour les JO s’il obtenait un total minimal de 140 points FIS (Fédération internationale de ski). Si ce n’était pas le cas, le deuxième avait sa chance et ainsi de suite jusqu’au troisième.
Jeffrey Zina (Allen Behlok ne veut pas donner son nom, mais les requêtes présentées au TAS ne peuvent êre anonymes), blessé pour une course décisive en 2017, n’a pas fini dans les trois premiers du championnat et s’est mis à parcourir le monde pour emmagasiner plus de points FIS qu’Allen Lehbok. Il y est parvenu – en slalom et au total – et a ainsi réclamé la sélection, prétendant que les critères ne lui avaient pas été communiqués clairement car il habite à Londres.
« N’importe qui peut voyager et faire des points FIS »
Le TAS a estimé que les critères de sélection avaient été communiqués de manière suffisamment claire et anticipée, et que Jeffrey Zina devait être au courant.
« N’importe qui ayant beaucoup de moyens peut voyager et faire des points FIS. C’est pour cela que ce n’est pas très significatif au Liban », assure Allen Behlok, toujours sur le télésiège.
« Il a énormément de moyens, renchérit sa voisine (de télésiège) Natacha Mohbat. La raison de ce mode de sélection, c’est que la fédération ne voulait pas que des gens s’entraînant ailleurs qu’au Liban fassent des compétitions à l’extérieur et se qualifient comme ça, car les skieurs du Liban n’auraient aucune chance d’y aller. »
Sur les réseaux sociaux, Jeffrey Zina a estimé que « la corruption qui [avait] détruit [son] pays [avait] fait son chemin jusqu’à un domaine aussi pur que le sport ». Sur le télésiège, Allen Behlok n’était pas avare de compliments lui aussi vis-à-vis de Jeffrey Zina. Bref, l’ambiance risque d’être sympa à la prochaine soirée raclette de Kfardebian.
Kfardebian, c’est la plus grande des quatre stations de ski du Liban, m’explique Romain Garcin, le Français qui s’est installé à Beyrouth il y a une dizaine d’années, histoire de voir du pays. L’été, il revient en France. Lui et ses deux skieurs sont membres du club de Faraya-Mzaar, le plus gros du pays. Sur les pistes, on croise essentiellement des habitants de la station et des riches familles de Beyrouth : les prix des forfaits sont presque aussi chers qu’en France pour un salaire médian très inférieur.
Saisons de trois mois et courses au Monténégro
« Pour s’entraîner, les saisons sont beaucoup plus courtes qu’en Europe : trois mois environ, explique le barbu de Serre-Chevalier et à ce titre pote de Luc Alphand, l’icône de la station. Les deux athlètes font des études et travaillent. Donc c’est plus dur pour eux de voyager sur des courses labellisées FIS. On voyage une ou deux fois par hiver, sans qu’ils loupent trop l’université. Ils se débrouillent pas mal. »
Les coupes FIS, c’est le troisième niveau de compétition internationale, sous la Coupe du monde et les coupes continentales. On n’y croise pas de skieur français, autrichien, norvégien ou américain, plutôt des skieurs asiatiques, du Moyen-Orient ou d’Europe de l’Est. La dernière compétition FIS à laquelle ont participé Natacha Mohbat et Allen Behlok, en décembre, avait lieu au Monténégro. On y retrouvait beaucoup de représentants des « petits pays » du ski, ceux qui se sont élancés plus d’une heure après Marcel Hirscher, dimanche, dans le slalom géant. Les écarts entre skieurs sont beaucoup plus importants que dans une Coupe du monde.
« On se connaît, on se croise sur les compétitions au Monténégro, en Grèce… Il y a beaucoup de solidarité », explique Allen, étudiant en management à la Lebanese American University.
La neige était trop dure pour Allen Behlok, dimanche 18 février. / DOMINIC EBENBICHLER / REUTERS
« C’était très dur »
Lui et Natacha Mohbat participent à leurs premiers Jeux olympiques. Un troisième Libanais était engagé sur le ski de fond. Comme Allen et Natacha, Samer Tawk est arrivé au bout de son épreuve, le 15 kilomètres libre, vendredi, et c’est tout ce qui comptait.
Natacha Mohbat, dont le frère Alexandre avait participé aux Jeux de Sotchi, espérait « battre le plus de gens possible et faire la meilleure performance d’une Libanaise dans l’histoire ». Elle a terminé 52e sur 70 partantes, en prenant soin d’arriver en bas. Un peu moins bien que sa prédécesseure, Jacky Chamoun (47e à Sotchi)*.
Allen Behlok rêvait de finir autour de la 30e place mais a souffert lors sa première épreuve, le géant : 71e sur 110 partants. Il a tout de même relégué à 10 secondes les deux skieurs nord-coréens et se félicitait d’avoir perdu deux secondes de moins sur Marcel Hirscher en seconde qu’en première manche.
« C’était très dur. La neige était injectée, ça fait des escaliers dans le mur, mais je suis arrivé en bas. C’est une neige travaillée, c’est pas naturelle, on n’a pas du tout l’habitude avec notre neige molle. J’ai gagné deux secondes dans la deuxième manche. Donc ça veut dire que je me suis habitué. Si je progresse deux secondes par deux secondes, c’est pas mal !
Les champions sont super à voir, c’est très beau. J’essaye de faire comme eux, mais leur glisse est impressionnante. »
Jeudi, il est engagé sur le slalom. Devinez quoi ? « Maintenant, je sais à quoi m’attendre. Je sais que ça va être dur. »
* Les prestations de Jacky Chamoun avaient été médiatisées en raison d’une vidéo d’elle dénudée publiée juste avant les Jeux olympiques, laquelle avait engendré une polémique politicienne au pays du Cèdre. La skieuse, fille d’une grande famille libanaise, avait été contrainte de s’excuser. Si vous voulez de ses nouvelles, sachez qu’elle a épousé Christian Karembeu en 2017.