Célia Aymonier est l’une rares biathlètes à recourir à une crosse en bambou. / Gregorio Borgia / AP

Martin Fourcade passe plus de temps avec elle qu’avec sa famille. Elle mesure environ un mètre, pèse 3,7 kg, dort au pied du lit et ne s’en plaint jamais.

Il faut dire qu’elle n’a pas le temps de s’attacher : le Français modifie régulièrement sa carabine. Sa « 22 long rifle » change tellement souvent (nouvelle crosse, nouveau canon, nouvelle bandoulière) qu’il n’a pas le temps de s’y attacher. Elle n’a pas de petit nom.

Elle voyage dans une caisse spéciale, solidement verrouillée et résistante aux chocs des voyages en soute. L’outil n’est jamais loin, prêt à être épaulé ne serait-ce que trente secondes, comme si le quadruple champion olympique avait peur de ne plus savoir, en arrivant sur un pas de tir, comment mettre en joue.

La carabine utilisée par Martin Fourcade à Pyeonchang vaut dans les 6 000 euros. / CHRISTOF STACHE / AFP

« Je ne dirais pas que c’est de l’amour, mais il est hypersensible, il a toujours un œil dessus, observe Franck Badiou, entraîneur de l’équipe de France masculine de biathlon chargé du tir, qui a patiemment modelé l’engin dans son petit atelier de Prémanon (Jura). Après chaque entraînement, il prend un quart d’heure pour la soigner : contrôle de certaines pièces d’usure, nettoyage, stockage… »

« Les chasseurs, ils vont faire du ball-trap. Nous, on est plutôt des skieurs, des amoureux des grands espaces »

Par atavisme, le Pyrénéen préfère la nature à la chasse et n’a jamais considéré l’objet comme une arme. C’est le cas de tous les biathlètes, assure son ami Jean-Guillaume Béatrix, non retenu pour les Jeux de Pyeongchang : « Les chasseurs, ils vont faire du ball-trap. Nous, on est plutôt des skieurs, des amoureux des grands espaces. »

Amoureux du bois aussi, que certains travaillent eux-mêmes. Parce que le printemps est long, Jean-Guillaume Béatrix, comme ses coéquipiers Simon Desthieux et Quentin Fillon-Maillet, a fabriqué sa propre carabine et confié à Franck Badiou et sa fraiseuse la responsabilité des réglages techniques.

Biathlon - Coupe du monde : Gros plan sur Franck Badiou
Durée : 02:21

Le noyer a eu son heure de gloire. Dans les forêts jurassiennes, assure Franck Badiou, « on trouve toujours un petit père qui a stocké ça depuis vingt ans et se fait un plaisir de les offrir ». Le noyer est esthétique et donne de la rigidité, mais la mode est à l’érable, « moins tourmenté, plus absorbant, plus doux », voire aux composites en bambou.

Célia Aymonier utilise la seule carabine du circuit intégralement en bambou. « C’est un très beau bois, original, dit-elle. La carabine est quelque chose de très personnel, presque intime, que l’on doit vraiment adapter à soi. C’est le prolongement de notre esprit. »

« Sport mécanique » ou « c’est un peu de la pipe » ?

Célia Aymonier parle de cette arme qu’elle a découverte sur le tard – elle était spécialiste de ski de fond – comme d’une œuvre d’art. Non pas qu’il y ait une grande place laissée à la créativité : un petit emplacement est réservée aux sponsors personnels et la couleur est libre, bleue pour Martin Fourcade, dorée pour Johannes Boe.

Mais elle en a le prix et la rareté. Une carabine sur mesure vaut 4 000 euros pour les moins sophistiquées, 6 000 à 7 000 euros pour celles équipées d’un canon enrubanné dans un filtre de carbone. Franck Badiou, qui fut lui-même vice-champion olympique de tir à la carabine en 1992, a travaillé environ soixante heures sur celles de Martin Fourcade ou de Justine Braisaz.

Franck Badiou, entraîneur de tir de l’équipe de France de biathlon, travaille lui-même le bois des crosses de carabines. / FRANCOIS-XAVIER MARIT / AFP

Certaines nations – France, Autriche, Italie – basculent vers des crosses synthétiques, avec des pièces sorties d’imprimantes 3D. Martin Fourcade dispose ainsi d’un prototype d’organe de visée en Inox, qu’il n’utilisera pas aux Jeux. Coût de la pièce : 1 500 euros.

« C’est un sport mécanique : les meilleurs tireurs sont souvent ceux qui ont le meilleur canon », certifie Franck Badiou. Siegfried Mazet, son prédécesseur, qui œuvre désormais pour la Norvège, constate que la course à l’armement est partout : « Les Norvégiens ont eu l’habitude de faire fabriquer des canons en Ecosse, sertis de carbone. »

Ce qu’il en pense ? « Que c’est un peu de la pipe : ce sont des petits garçons avec des jouets, ils aiment avoir le sentiment d’avoir un truc de plus que le voisin. »