TV – « Loving » : l’amour et la peur, à même la peau
TV – « Loving » : l’amour et la peur, à même la peau
Par Isabelle Regnier
Notre choix du soir. Jeff Nichols bouleverse en retraçant la résistance d’un couple mixte à une loi raciste de l’Etat de Virginie (sur Canal à 21 heures).
LOVING - Official Trailer [HD] - In Theaters November 4
Durée : 02:54
En 1958, dans le sud des Etats-Unis, les mariages « interraciaux » étaient interdits. Richard et Mildred Loving s’en moquaient, ils s’aimaient. Il était blanc, elle était noire, ils sont partis pour Washington, sont revenus mariés. Au milieu de la nuit, la police a débarqué chez eux, les a tirés du lit et jetés en prison. Jugés coupables d’infraction à la loi sur l’intégrité des races, Richard et Mildred Loving furent condamnés à un an de prison avec sursis, assorti de vingt-cinq ans d’exil hors du territoire de Virginie. Neuf ans plus tard, dans un arrêt intitulé « Loving contre l’Etat de Virginie », la Cour suprême des Etats-Unis rendait inconstitutionnelles toutes les lois interdisant les unions mixtes.
Révélé avec Shotgun Stories, néowestern tourné dans les plaines de l’Arkansas, Jeff Nichols n’a cessé, depuis, de revisiter l’imaginaire du sud des Etats-Unis à la lumière des grands genres du cinéma, en en diluant les codes dans le spectre hanté de sa vision du monde. Avec l’histoire de « Loving contre l’Etat de Virginie », il s’essaie au biopic, en s’inscrivant dans la grande tradition classique du mélodrame.
Pas de violons, pas de commentaire édifiant. La mise en scène cultive l’ellipse, une belle sobriété qui n’empêche pas l’émotion dès le premier plan. Car Jeff Nichols ne se contente pas de filmer ses acteurs. Sa caméra les enveloppe d’un tel amour qu’elle les rend immédiatement vivants, révélant la force de leur présence au monde, et leur fragilité face à la violence aveugle qui s’abat sur eux.
Ruth Negga et Joel Edgerton dans « Loving », de Jeff Nichols. / BEN ROTHSTEIN/MARS FILMS
Imbriquant les registres de l’intime et de la grande histoire, la mise en scène tresse dans un même tissu organique les mouvements de l’amour, de la vie sociale, du combat contre l’Etat… Tout passe par la peau, par les gestes, par le timbre des voix, par la manière qu’ont Joel Edgerton et Ruth Negga, dans les rôles de Richard et Mildred, de toujours se tenir droits et d’apparaître ainsi, y compris dans la douleur et l’humiliation, comme l’incarnation fière de l’histoire en marche.
Tension de thriller
Alors qu’elle repasse son linge dans sa petite maison de Washington, Mildred, déjà mère de trois enfants, voit Martin Luther King prendre la parole à la télévision, le jour de la grande marche pour les droits civiques. A une amie venue la voir, elle confie, dans un soupir accablé, se sentir à des années-lumière de ce qui se passe dans la rue. Mais celle-ci la reprend : « Il est temps que tu te procures quelques droits civiques, ma chérie ! » L’idée fait son chemin, et Mildred prend la plume pour écrire à Bobby Kennedy, connu pour son engagement en faveur des droits civiques. Plus rien, dès lors, n’entamera sa calme détermination.
C’est elle, la femme noire, qui porte dans sa chair l’histoire de l’esclavage, qui prend conscience de l’enjeu historique de leur combat, de la responsabilité politique qu’il leur confère. Richard, qui ne demande rien d’autre qu’à vivre en paix et en sécurité avec sa famille, ne voit pas si loin.
A Washington, le tumulte de la ville menace. Jeff Nichols, qui n’a pas peur des mélanges, injecte dans son biopic une tension de thriller psychologique. En recourant aux puissances du faux, il exprime au plus juste la violence démente, inimaginable aujourd’hui (malgré les traces qui en subsistent), d’une société où les Noirs finissaient pendus au bout d’une corde. Et la terreur qu’elle produisait dans les cœurs.
Loving, de et avec Jeff Nichols, Joel Edgerton et Ruth Negga (EU, 2016, 123 min).