Voies sur berge à Paris : trois questions pour comprendre la décision de justice d’annulation de fermeture
Voies sur berge à Paris : trois questions pour comprendre la décision de justice d’annulation de fermeture
Par Eléa Pommiers
Le tribunal administratif a donné raison, mercredi, aux opposants à la fermeture des voies sur berge de la rive droite, mais n’a pas interdit le projet.
La voie Georges-Pompidou, le 11 septembre 2016, fermée à la circulation. / MIGUEL MEDINA / AFP
Ce sont à peine plus de trois kilomètres au cœur de Paris qui sont au centre d’un conflit politique et juridique qui dure depuis des mois ; et qui vient d’être relancé. Le projet de fermeture des voies sur berge de la rive droite de la capitale, adopté par le Conseil de Paris le 26 septembre 2016, et l’arrêté du 18 octobre 2016 créant une promenade publique ont été annulés par le tribunal administratif, mercredi 21 février.
La décision, prise par la maire de Paris, Anne Hidalgo (Parti socialiste), en dépit des nombreuses oppositions, avait été attaquée en justice par des usagers, cinq départements, la région Ile-de-France et une centaine de communes de l’agglomération parisienne. La justice leur a donné raison, mais ils n’ont pas pour autant obtenu l’abandon du projet.
Pour quelles raisons le tribunal administratif a-t-il annulé la fermeture des voies sur berge ?
La principale raison de la décision du tribunal administratif concerne la procédure. Les juges ont estimé que l’étude d’impact, nécessaire pour établir l’intérêt général du projet, comportait de nombreuses « inexactitudes, omissions et insuffisances (…) concer [nant] les effets du projet sur la circulation automobile, les émissions de polluants atmosphériques et les nuisances sonores ».
Cette irrégularité de procédure est d’autant plus importante que ces éléments avaient été signalés en mai 2016 par l’autorité environnementale, et que la commission d’enquête publique avait conclu, en août 2016, qu’il était impossible de se prononcer sur l’intérêt général du projet.
Pour ces raisons, le tribunal administratif a estimé que le public n’avait pas pu « apprécier les effets du projet d’aménagement envisagé au regard de son importance et de ses enjeux » et que ces manquements avaient « pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ». Les juges ont conclu à une procédure viciée invalidant la délibération à l’issue de laquelle le Conseil de Paris a adopté le projet de fermeture des voies sur berges.
Les juges ont par ailleurs souligné que l’article de loi sur lequel la mairie de Paris avait fondé son arrêté du 18 octobre 2016 n’était tout simplement… pas le bon. Il « ne permet pas au maire de prononcer une interdiction permanente d’accès des voitures à une voie mais uniquement d’interdire cet accès, à certaines heures, pour des nécessités liées à la circulation et à l’environnement ». L’arrêté de la mairie de Paris a été pris sans « base légale », et est donc invalide.
Cette décision interdit-elle la piétonisation des voies sur berge ?
Non, elle invalide simplement la manière dont cette piétonisation a été mise en œuvre. Mais l’arrêté entérinant la fermeture des voies sur berge étant annulé, c’est le droit précédent qui s’applique désormais.
Autrement dit, en théorie, la circulation est à nouveau autorisée sur les 3,3 kilomètres de berges. La préfecture de police de Paris a d’ailleurs estimé, dès mercredi soir, que l’aménagement « tel qu’il avait été projeté » ne pouvait « se poursuivre ».
Cela suppose toutefois que la mairie rouvre cet axe et en retire les aménagements qui entraveraient la circulation des véhicules. Ce qu’elle n’a pas l’intention de faire : le maire adjoint chargé des transports, des déplacements, de la voirie et de l’espace public, Christophe Najdovski (écologiste), a affirmé, mercredi, que les voitures ne reviendraient de toute façon pas sur les berges de Seine rive droite.
Dans l’immédiat, les inondations provoquées par la crue de la Seine sur les berges règlent la question.
Anne Hidalgo a précisé qu’elle ferait appel de cette décision. Mais en droit administratif, l’appel n’est pas suspensif : la décision de justice s’applique même avant le jugement en appel.
C’est pourquoi la mairie de Paris a prévu de demander un sursis à exécution du jugement à la cour administrative d’appel. Mais ce type de requête est « très rarement accordé », précise Paul Cassia, professeur de droit administratif à l’université Paris-I. « Tout est réparable, le jugement ne vaut pas interdiction du projet », tempère cependant le juriste.
L’absence de base légale peut être aisément corrigée en reprenant un arrêté fondé sur le bon article de loi (qui existe). La seule contrainte est d’avoir une nouvelle étude d’impact complète, ce qui prendrait vraisemblablement plusieurs mois. Pour M. Cassia :
« Cette affaire est juridiquement simple. Elle repousse la mise en œuvre du projet, mais si la volonté politique est celle de la piétonisation, cela se fera. »
Que disent les études d’impact menées depuis la fermeture des voies sur berge ?
Presque tout, voire son contraire. La mairie, la région et la préfecture, ont chacune leur étude, leur observatoire, et leur conclusion sur les conséquences de cette piétonisation. La mairie, qui porte le projet, a très récemment donné des chiffres montrant que « l’évaporation du trafic » (le renoncement à utiliser la voiture par une partie des usagers) avait commencé sur les voies de report, engorgées après la fermeture des voies sur berge. Les baisses, même si elles ne permettent pas de repasser en dessous des volumes de trafic antérieurs à la piétonisation, iraient de – 5 % à – 28 %.
Mais trois mois plus tôt, le comité de suivi régional a souligné qu’« aucun phénomène d’évaporation du trafic n’[avait] pu être observé ou établi », un an après la fermeture. Le rapport estimait même que, sur les quais hauts (au-dessus des voies fermées) la hausse moyenne du trafic était de 67 % le matin et de 30 % le soir.
Prenant un périmètre d’étude plus large que celui retenu par la mairie, il notait également que le trafic s’était intensifié jusqu’à l’autoroute A86 (en périphérie de Paris) et rallongeait « significativement » les temps de trajets de banlieue à banlieue.
Cependant, au mois de juin 2017, après huit mois d’observation, la préfecture avait conclu à l’absence de tendance franche sur l’évolution du trafic, hormis un report de la circulation sursur la A86 Sud, mais qui restait « limité et absorbable par la capacité de l’infrastructure ».
Par ailleurs, le rapport du comité régional fustigeait une hausse du bruit et surtout de la pollution atmosphérique. Pourtant, en octobre 2017, un mois plus tôt, Airparif, qui surveille la qualité de l’air dans la capitale, avait constaté une amélioration le long des quais fermés à la circulation et une dégradation à l’est de Paris, concluant à l’absence « d’impact significatif sur l’exposition des populations ».
Pourquoi ces divergences ? En raison des indicateurs différents choisis par les instances en question pour peser dans un débat qui reste, malgré sa technicité, encore largement politique.