A Bure, après l’expulsion du bois Lejuc, la détermination des opposants
A Bure, après l’expulsion du bois Lejuc, la détermination des opposants
Par Rémi Barroux (Bure (Meuse), envoyé spécial)
Après l’intervention de 500 gendarmes mobiles, jeudi, les militants hostiles au projet d’enfouissement de déchets nucléaires annoncent leur volonté de réoccuper le site.
En fin de soirée, dans le village de Bure (Meuse) et ses environs, tournent les véhicules des gendarmes, dans la nuit glaciale et étoilée de ce jeudi 22 février. Dans le petit bourg rural, seule la « Maison de résistance à la poubelle nucléaire », cœur militant des opposants au projet d’enfouissement de déchets nucléaires du centre industriel de stockage géologique (Cigéo), est encore éclairée. A l’intérieur, quelques dizaines d’occupants tentent de se remettre de l’émotion qui les a saisis tout au long de cette journée.
Mu, « maman » d’une cinquantaine d’années, ironise. « Tu vois, l’avantage de ne pas avoir encore construit ma cabane dans le bois, comme ça elle n’est pas détruite », lance-t-elle dans un sourire avant de tomber en larmes dans les bras d’un compagnon d’infortune. Beaucoup d’émotion, mais aussi beaucoup de colère. « Nous sommes surdéterminés, ce qu’ils ont fait là ne nous empêchera pas de revenir », s’exclame Colin – la plupart des militants ont préféré taire leur nom.
A 6 h 15, jeudi matin, cinq escadrons, soit 500 gendarmes mobiles, sont entrés dans le bois Lejuc pour en déloger quelque quinze occupants. En fin de matinée, les derniers « hiboux », ainsi qu’ils se nomment eux-mêmes, étaient descendus des arbres dans lesquels certains étaient perchés. Les bulldozers de la société Andra, gestionnaire du site, étaient alors entrés en action pour détruire les cabanes déjà érigées.
Hululements solidaires
Au cœur du village, la maison des opposants était prise d’assaut par plusieurs dizaines de gendarmes mobiles. Enfonçant une porte et une fenêtre, ils pénétraient dans ce qui sert de point de ralliement. La trentaine de militants présents se réfugiait dans la mezzanine, certains sur le toit jetant des pierres sur les forces de l’ordre. La mairie, à une centaine de mètres, devait recevoir aussi quelques projectiles. A 16 heures, les gendarmes quittaient finalement les lieux, emmenant avec eux de nombreux opposants, sous les hululements solidaires d’autres hiboux.
Selon la préfète de la Meuse, Muriel Nguyen, les sept gardes à vue, toujours en cours en fin de journée, ne devraient pas être prolongées, mais il lui était « impossible de dire si elles donneraient lieu à comparution immédiate ou à des convocations ultérieures par des officiers de police judiciaire ». Onze procédures de vérification d’identité et une trentaine de contrôles d’identité ont aussi été effectués.
Devant la Maison de résistance, des dizaines de personnes sont venues manifester leur soutien. « Dès que j’ai entendu la nouvelle à la radio, j’ai rejoint Bure. Cela fait des années que je fais partie de cette lutte », explique Guy Jeannesson, informaticien à la retraite. « J’ai récupéré sur la route une petite jeune qui n’était pas en forme après l’intervention des gendarmes. J’ai apporté de quoi manger à la Maison des résistants. Mais on ne va pas s’arrêter là, on va continuer », témoigne à ses côtés, Irène Gunepin, retraitée elle aussi. Les deux, et quelques autres qui traînent dans le centre de Bure, vont alors rejoindre la manifestation devant la préfecture à Bar-le-Duc, à 18 heures.
« Hypocrisie du gouvernement »
Jacques Leray, professeur de gymnastique à la retraite, tempête. « Hier [mercredi], à 18 heures, la préfecture nous appelait pour proposer une rencontre avec Sébastien Lecornu [secrétaire d’état auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot], vendredi matin. Ce gouvernement dit vouloir la concertation et il envoie les gendarmes détruire le campement », proteste ce porte-parole du Collectif contre l’enfouissement des déchets radioactifs (Cedra).
Hormis la surprise de l’intervention – beaucoup s’attendaient à l’arrivée des gendarmes mais peu l’imaginaient concomitante avec celle d’un ministre –, c’est « l’hypocrisie du gouvernement » qui énerve le plus.
Devant la préfecture de Bar-le-Duc, 200 personnes manifestent en début de soirée. Juché sur un banc, Claude Kaiser, secrétaire de l’Eodra, l’association des élus de Lorraine et de Champagne-Ardenne opposé à l’enfouissement des déchets radioactifs, harangue la foule. « Ils ont abandonné [le projet d’aéroport de] Notre-Dame-des-Landes [Loire-Atlantique] et ils avaient besoin de montrer leurs muscles. Quelle pitié, 500 gendarmes, des drones, des hélicoptères pour quelques jeunes, quelle honte ! On soutient les hiboux du bois Lejuc, on est toujours là, on recommencera… », lance le responsable. « On reprendra la forêt, elle est à nous », répond en chœur la foule frigorifiée.
« Merci aux pouvoirs publics ! »
Irène, 33 ans, intermittente du spectacle à Bar-le-Duc, dissimule le bas de son visage dans une large écharpe noire, autant pour lutter contre le froid que pour éviter d’être prise en photo. « Depuis que je suis bébé, mes parents m’emmenaient dans des manifestations contre le projet à Bure. Maintenant, j’ai conscience du risque qu’il nous fait courir, notre département va mourir de cette poubelle nucléaire. »
Pour de nombreux participants, le gouvernement a fait une erreur en procédant à cette évacuation manu militari. « Ce que nous avions du mal à réaliser, les pouvoirs publics viennent de le faire, des dizaines de comités de soutien se construisent partout en France, merci ! », ironise encore Claude Kaiser. De fait, des rassemblements, réunissant des dizaines de personnes, ont eu lieu dans de nombreuses villes.
« Le gouvernement parle de concertation, il voulait trier les bons et les mauvais opposants, c’est raté, on reste tous solidaires, proclame Corinne François du collectif Bure Stop. On aurait pu attendre un peu plus de finesse, d’élégance de sa part. Il abuse du terme de zadiste, comme certains médias, pour évoquer la violence, faire peur. Ici, cela n’est pas le cas. »
Vendredi, à 9 heures, Sébastien Lecornu doit recevoir les associations qui le souhaitent à la préfecture. Mais, jeudi soir, aucune ne comptait s’y rendre. « Le gouvernement veillera à élargir l’espace de concertation avec l’opposition qui a fait le choix de s’exprimer de manière démocratique », a fait savoir M. Lecornu, tout en dénonçant « les occupants illégaux du bois Lejuc [qui] appartiennent à la mouvance d’extrême gauche anarchiste ».
Quand Hulot manifestait contre le projet de Bure
Quant à Nicolas Hulot, il a dû répondre à la députée (La France insoumise) du Val-de-Marne Mathilde Panot, qui lui montrait, jeudi à l’Assemblée nationale, une photo de lui manifestant contre le projet de Bure. « Je n’ai pas l’impression d’être en porte-à-faux avec ma conscience. J’aurais préféré ne jamais avoir à traiter ce sujet-là, que l’on n’arrive pas à cette situation avec ces déchets dont personne ne veut », a rétorqué le ministre, affirmant qu’il fallait choisir la « moins mauvaise solution ».
Dans les prochains jours, les différentes composantes du mouvement vont décider des suites à donner à l’expulsion du bois Lejuc. Il y aura une riposte juridique, disent-ils, et dès qu’on le pourra, l’objectif sera de reprendre le bois.
Le week-end de mobilisation à Bure, les 3 et 4 mars, prévu depuis longtemps – l’une des raisons qui ont poussé le gouvernement à intervenir afin que de nouvelles constructions ne soient pas édifiées à cette occasion – aura bien lieu.
Le dispositif policier, lui, sera maintenu plusieurs semaines pour empêcher toute réinstallation. Quant au rendez-vous du 16 juin, il devrait permettre la venue de milliers de personnes, espèrent les opposants, plus remontés que jamais.