Armes : la révolte salutaire des lycéens américains
Armes : la révolte salutaire des lycéens américains
Editorial. Après la tuerie de Parkland, les survivants, dans un mouvement inédit, exigent que des mesures soient enfin mises en place pour restreindre l’accès aux armes à feu. Et font naître l’espoir que les choses changent aux Etats-Unis.
Manifestation devant le capitole de Floride, à Tallahassee, mercredi 21 février. / Mark Wallheiser / AP
Editorial du « Monde ». Au même titre que la peine de mort, le problème des armes à feu fait partie de ces maux américains qui dépassent l’entendement européen. Comment une démocratie civilisée peut-elle s’habituer à une telle barbarie ? Tolérer cette statistique de la revue Pediatrics selon laquelle chaque semaine, en moyenne, vingt-cinq enfants et adolescents de moins de 17 ans meurent par balles aux Etats-Unis ? Comment, alors que les tueries de masse se sont multipliées dans les écoles, des mères et des pères de famille peuvent-ils continuer à élire des représentants financièrement dépendants du tout-puissant lobby des armes à feu, la NRA (National Rifle Association) ? Pour des esprits raisonnablement éclairés, cet aveuglement est incompréhensible.
Le nouveau drame, au cours duquel un jeune homme, Nicolas Cruz, a tué 17 adolescents et enseignants de son ancien lycée, le 14 février, à Parkland, en Floride, est peut-être en passe de rompre cet aveuglement. Le mouvement spontané de lycéens, sans précédent, déclenché par ce massacre en fait naître l’espoir. Lassés de l’impuissance de leurs aînés, révoltés par le blocage qu’opposent les élus de nombreux Etats américains et du Congrès à toute forme significative de contrôle des armes à feu, ces adolescents ont pris l’initiative, comme l’ont fait avant eux sur d’autres sujets les femmes ou les Noirs. Ils exigent que des mesures soient enfin mises en place pour restreindre l’accès à ces machines de mort.
La colère monte
Les médias ont donné un large écho aux lycéens, en particulier à ceux qui ont survécu à la tuerie de Parkland, cachés dans des cagibis, vivant des heures d’angoisse interminables passées à envoyer des SMS d’adieu à leur famille en attendant que le tueur les déniche. Leur mouvement s’est étendu ; une marche sur Washington est organisée le 24 mars. Leur détermination et leur éloquence ont bouleversé l’Amérique. Elles ont infligé une séance houleuse au sénateur républicain de Floride, Marco Rubio, lors d’une rencontre publique organisée par CNN. Elles sont même arrivées jusqu’à Donald Trump, qui a fini par recevoir quelques-uns des survivants ainsi que des familles de victimes, le 21 février, à la Maison Blanche.
Ardent défenseur du deuxième amendement de la Constitution américaine, qui garantit le droit de porter une arme, le président Trump se considère comme « le champion » de la NRA à la Maison Blanche. Mais il sent aussi la colère monter. Il semble prêt à encourager quelques concessions législatives sur certains dispositifs techniques qui permettraient de limiter, à la marge, l’accès aux armes à feu les plus meurtrières, les armes de guerre. Mais il a aussi proposé d’armer les enseignants dans les écoles, comme il avait suggéré, au moment de l’attentat du Bataclan, à Paris, en novembre 2015, que le massacre aurait pu être évité si les spectateurs avaient été armés.
De telles absurdités montrent que M. Trump ne sera pas l’homme du changement en la matière. Cela, cependant, ne doit pas décourager les lycéens. C’est à une culture historique, profondément ancrée aux Etats-Unis et dévoyée par la NRA, qu’ils s’attaquent. Leur combat est une lutte de longue haleine, dans un pays qui compte pratiquement autant d’armes à feu en circulation que d’habitants. Mais cette culture n’est pas monolithique. Et la lente évolution des mentalités sur la peine de mort, sous l’infatigable pression des juristes opposés à la peine capitale, montre que faire évoluer une culture n’est pas du domaine de l’impossible.