Des pêcheurs sur le lac Tchad dans la région de Bagasola (Tchad) , en mai 2017. / DR

Blanche et un peu rouillée, elle se dresse héroïquement dans le sable comme une ultime relique. A Bol, la seule échelle de crue du lac Tchad est à la fois un objet de fierté et de désolation pour les techniciens de la Sodelac (Société de développement du lac Tchad), l’organisme public chargé de la mise en valeur agricole des rives tchadiennes. « Il n’y a pas si longtemps, nous en avions deux autres mais les hippopotames ont tout cassé », raconte Kabdana Abougteou, le chef des services des études, en regardant le bout de métal auquel il lui faut désormais se fier. « Ce n’est pas facile pour avoir des données mais on s’arrange avec nos limites. »

La complainte des agronomes chargés d’observer le flux et le reflux des eaux qui rythment les saisons fait écho à celles des climatologues appelés à se prononcer sur le destin de cette précieuse étendue d’eau douce dont la superficie oscille autour de ses étiages les plus bas depuis les grandes sécheresses des décennies 1970 et 1980. « Nous manquons cruellement de relevés de terrain, confirme Florence Sylvestre, directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement. Il n’existe aucun suivi régulier des variations du lac Tchad. Le fleuve Chari n’est plus jaugé depuis longtemps alors qu’il assure près de 90 % de l’approvisionnement du lac. » La paléoclimatologue dit avoir une station météo qu’elle n’a jamais réussi à installer faute de personnel pour s’en occuper. Depuis quatre ans, l’insécurité liée aux attaques du groupe terroriste Boko Haram la tient de toute façon éloignée de son terrain d’étude.

Modèles imparfaits

Les premiers réseaux d’observation hydro-climatologiques remontent à l’époque coloniale et ont été à peu près entretenus jusque dans les années 1980 avant de péricliter avec la vague d’ajustements structurels auxquels ont été soumis les pays de la région. Les moyens pour étudier cette vaste étendue d’eau douce au coeur du Sahel ne sont jamais revenus.

Un projet de réhabilitation traîne dans les tiroirs de l’Organisation de la météorologie mondiale depuis 2006. Une version mise à jour a été publiée en 2015 et puis, plus rien. « Tous les réseaux de mesure sont par terre, confirme Abou Amani, chef de la section des systèmes hydrologiques de l’Unesco. Comment savoir si nous prenons les bonnes décisions dans ces conditions ? C’est impossible. »

Faute de données de terrain, toutes les informations utilisées pour comprendre la dynamique du lac Tchad proviennent donc de modèles très imparfaits et d’images satellites dont l’utilisation qui en a été faite pour raconter l’inéluctable disparition du lac est loin de faire l’unanimité parmi les scientifiques.