BEE

Dénoncer par l’art « le côté obscur de notre addiction à la technologie », la culture du « conçu pour casser » et les ravages de l’« obsolescence programmée ». Pour interpeller sur ces questions les grands patrons de la technologie mobile qui se pressaient, lundi 26 février, à Barcelone, à l’ouverture du congrès mondial de la téléphonie mobile (Mobile World Congress), le Bureau européen de l’environnement (BEE) – fédération d’une quarantaine d’ONG environnementales européennes basée à Bruxelles – et l’ONG espagnole Eco Union ont sollicité l’artiste argentin Eduardo Relero.

Dans son studio madrilène, ce spécialiste des trompe-l’œil à la craie sur macadam a planché cinq jours à la conception d’une œuvre d’art urbain au message glaçant que les deux organisations ont fait imprimer pour la déployer toute la journée de lundi, au sol, à quelques mètres de l’entrée du salon professionnel.

Cette création de onze mètres sur six mètres représente une fausse fissure creusée dans la chaussée au fond de laquelle des enfants s’affairent au milieu d’un fatras de déchets électroniques. Pour justifier cette action, Piotr Barczak, responsable de la question des déchets au BEE explique :

« On aime tous la technologie, les nouveautés, les nouvelles fonctionnalités, mais le côté obscur de cette obsession, ce sont des trains charriant des déchets électroniques depuis nos villes vers de vastes et effrayantes décharges en Afrique et en Asie. »

17 % de déchets électroniques en plus d’ici à 2021

Selon l’ONG Greenpeace, plus sept milliards de smartphones ont été fabriqués depuis 2007 et les consommateurs américains changent en moyenne de téléphone tous les deux ans. Les déchets électroniques constituent le flux à la plus forte croissance et représentent 70 % des déchets toxiques dans les exutoires américains. Quant à la criminalité organisée, elle expédie illégalement, chaque année, huit millions de tonnes de déchets électroniques européens vers la Chine.

Pour l’année 2016, l’ONU estime que 44,7 millions de tonnes de déchets électroniques ont été générés, soit une augmentation de 3,3 millions de tonnes (+ 8 %) par rapport à 2014. Et les projections promettent une augmentation de 17 % d’ici à 2021, pour atteindre plus de 52 millions de tonnes.

Le BEE a ainsi tenu à souligner le caractère ironique du slogan – « Creating a Better Future » (assurer un avenir meilleur) – choisi par les organisateurs du Mobile World Congress qui se tiendra jusqu’au 1er mars dans la métropole catalane, et où sont attendues plus de 100 000 personnes, alors qu’ils ont refusé d’accueillir dans leurs murs la création d’Eduardo Relero comme d’accorder une tribune aux organisations environnementales.

Ne pas « culpabiliser » usagers et consommateurs

« Les fabricants ont une grosse marge de progression pour allonger la durée de vie des produits, mais ils se contentent de continuer à tirer profit de ce statut quo aux dépens des consommateurs », note Jack Hunter, un porte-parole du BEE présent à Barcelone.

« Ils paralysent le droit à réparer et usent de lois sur la propriété intellectuelle et le copyright pour menacer les citoyens qui mettent en ligne des vidéos ou des notices explicatives. »

Le BEE se refuse à « culpabiliser » usagers et consommateurs. « Tout comme l’environnement, ils sont victimes, incités à payer des fortunes les produits dernier cri parce qu’il est impossible de faire réparer les anciens », assène Jack Hunter expliquant que le Mobile World Congress est le lieu rêvé pour sommer les leaders de la technologie mobile de « mettre de l’ordre dans leurs affaires ».

L’ONG engage les entreprises à « aller au-delà des promesses » en concevant des produits réparables et en mettant plus largement à disposition des pièces détachées pour allonger leur durée de vie plutôt que de s’en réserver le monopole. Elle leur enjoint aussi de réduire la quantité de substances toxiques comme les retardateurs de flamme, afin d’en faciliter le recyclage. Et elle propose qu’à l’instar de la Suède, les Etats européens consentent des allégements fiscaux aux ateliers de réparation.

Si les effets de l’action artistique et médiatique menée par le BEE et Eco Union à Barcelone ce lundi sont difficilement quantifiables, de nombreux passants y ont immortalisé l’œuvre d’Eduardo Relero grâce… à leur téléphone portable.