En Autriche, dire « fuck » à un homme politique n’est pas condamnable
En Autriche, dire « fuck » à un homme politique n’est pas condamnable
Le Monde.fr avec AFP
Un groupe d’extrême gauche était poursuivi par le vice-chancelier pour « insulte publique ». Le « rejet d’un dirigeant politique » peut être « exprimé de façon provocatrice et choquante », a estimé la cour d’appel de Vienne.
Le vice-chancelier autrichien Heinz-Christian Strache lors d’une conférence de presse, le 12 février. / Darko Vojinovic / AP
En Autriche, on peut adresser un doigt d’honneur et dire « fuck » à un homme politique, fût-il vice-chancelier, si cela est argumenté. C’est la décision de justice rendue par la cour d’appel de Vienne, qui a invoqué la liberté d’opinion, a-t-elle annoncé jeudi 1er mars.
Saisie par le dirigeant d’extrême droite et vice-chancelier Heinz-Christian Strache, qui avait attaqué un groupement d’extrême gauche pour « insultes publiques » après avoir été invectivé lors d’une manifestation, la cour a confirmé un jugement de première instance qui avait débouté le plaignant.
Dans un jugement rendu mercredi, les juges ont souligné que le « rejet d’un dirigeant politique » pouvait être « exprimé de façon provocatrice et choquante » et que cela représentait « un élément fondamental de la liberté d’opinion ».
Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux et réalisée lors d’une manifestation en octobre, des militants de l’organisation d’extrême gauche Linkswende Jetzt (« à gauche toute maintenant ») avaient détaillé toute une série de raisons selon eux de dire « fuck Strache », doigts d’honneur à l’appui.
Le groupuscule a salué jeudi « une victoire pour la liberté d’opinion et pour la liberté de la presse » et estimé que désormais tout discours politique pouvait intégrer la phrase « je dis fuck à Strache, parce que ».
En France l’« offense au chef de l’Etat » toujours appliquée
En France la justice n’avait pas été si clémente avec un manifestant de 57 ans qui avait brandi une affichette « Casse-toi pov’con » au passage du cortège du président de l’époque, Nicolas Sarkozy. Hervé Eon, ancien conseiller général socialiste passé au Parti de gauche, avait été condamné, en 2009, à 30 euros d’amende pour « offense au chef de l’Etat ».
Mais la Cour européenne des droits de l’homme avait estimé, en 2013, que la France avait violé la liberté d’expression avec cette condamnation. Elle avait jugé « disproportionné » le recours à une sanction pénale, qui, selon elle, risquait d’avoir « un effet dissuasif sur des interventions satiriques qui peuvent contribuer au débat sur des questions d’intérêt général ».
Dans le cas d’Hervé Eon, le parquet avait requis 1 000 euros d’amende, mais le tribunal avait préféré opter pour une peine de principe de 30 euros avec sursis, un choix confirmé en appel.
« Privilège exorbitant »
Au-delà de la question de l’opportunité des poursuites intentées à l’encontre d’Hervé Eon, les juges de Strasbourg avaient aussi eu l’occasion de se prononcer sur la légitimité du délit d’offense au chef de l’Etat, inscrit dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse et passible de 45 000 euros d’amende.
Ils avaient déjà poussé la France à abroger en 2004 un délit similaire, celui d’offense à un chef d’Etat étranger. Dans un arrêt de 2002 concernant Le Monde, ils avaient estimé qu’il revenait à « conférer aux chefs d’Etat étrangers un privilège exorbitant », car leur seul statut leur permettait ainsi de se soustraire à la critique.
Un argument repris par les détracteurs du délit d’offense au chef de l’Etat, qui y voient une survivance du crime de lèse-majesté et ont tenté à plusieurs reprises de l’abroger, au Sénat et à l’Assemblée nationale.