Port-au-Prince, en Haïti, le 21 février. Le 8 février, le quotidien britannique « The Times » révélait que des membres haut placés d’Oxfam avaient eu recours à des prostituées et avaient abusé sexuellement de mineures en 2011 en Haïti. / ANDRES MARTINEZ CASARES / REUTERS

C’est un serpent de mer dans l’humanitaire, qui ressurgit périodiquement à la faveur de scandales médiatiques : des employés de ces organisations non gouvernementales profitent de leur statut pour obtenir des relations sexuelles en échange de leur assistance.

Le 8 février, le quotidien britannique The Times révélait que des membres haut placés d’Oxfam avaient eu recours à des prostituées et avaient abusé sexuellement de mineures en 2011 en Haïti, touché par un séisme violent l’année précédente. Depuis, de nouvelles accusations mettent en cause des employés d’Oxfam au Tchad, au Soudan du Sud et au Liberia. Des membres du personnel des agences de l’Organisation des Nations unies (ONU) et d’organisations caritatives internationales s’adonneraient aux mêmes pratiques en Syrie, en guerre civile depuis sept ans, a aussi révélé la BCC, le 27 février.

Ces scandales sont loin d’être les premiers du genre. En février 2002, déjà, Le Monde mettait à sa « une » une affaire similaire, « Sexe contre nourriture », impliquant soixante-sept employés d’agences humanitaires en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone.

Quels mécanismes de prévention et de sanctions ont été mis en place par les ONG ? Sont-ils suffisants ? Etat des lieux.

Bouche-à-oreille et contact avec l’ancien employeur

Sur le terrain, la situation asymétrique entre le travailleur humanitaire et les bénéficiaires constitue un environnement propice aux abus. « Vous avez des personnes extrêmement vulnérables, qui ont tout perdu bien souvent, et d’autres qui ont accès à beaucoup de ressources, ce qui leur donne du pouvoir », rappelle à l’Agence France-Presse (AFP) Mike Jennings, directeur des études sur le développement à l’Ecole des études orientales et africaines de Londres.

La sélection des candidats qui vont évoluer dans ce contexte particulier est donc décisive. Mais pour Claire Colliard, cofondatrice du Centre de psychologie humanitaire de Genève :

« Les ONG, de taille moyenne ou de petite taille, notamment, n’ont pas de personnel des ressources humaines suffisant et suffisamment formé pour recruter des gens solides. La plupart des recrutements humanitaires se font sur la base de compétences techniques — on cherche un ingénieur, un logisticien, etc. —, mais les ONG, même les grosses, font rarement des questionnaires sur les compétences de vie. »

Pour tenter d’évaluer ces « compétences », la plupart des ONG effectuent des contrôles de routine lors du recrutement : le bouche-à-oreille et la prise de contact avec les anciens employeurs. Deux méthodes qui ont pourtant failli pour Roland Van Hauwermeiren et Gurpreet Singh, deux membres du personnel d’Oxfam au cœur du scandale actuel en Haïti.

En 2011, un rapport interne confirme qu’ils ont eu recours à des prostituées. Le premier, ancien directeur d’Oxfam en Haïti, démissionne à la suite du rapport, gardé secret par Oxfam. Peu de temps après, il prend la tête d’une mission au Bangladesh pour le compte d’Action contre la faim. Dans un communiqué du 12 février, l’ONG française a déclaré ne pas avoir été avertie de ses agissements alors qu’elle avait contacté d’anciens employeurs, dont Oxfam, lors du processus de recrutement.

Le second, Gurpreet Singh, renvoyé à la suite du rapport, est embauché quelques mois plus tard… comme consultant pour une mission d’Oxfam en Ethiopie, d’octobre à décembre 2011. « Embaucher Singh, même comme consultant de court terme dans une situation d’urgence, était une grosse erreur. Cela n’aurait jamais dû se passer », a reconnu un porte-parole d’Oxfam.

De son côté, Joël Weiler, directeur général de Médecins du monde, interrogé par l’AFP, fulmine :

« C’est fou que cela puisse arriver. L’humanitaire, c’est un tout petit milieu, les planches pourries, les gens qui traînent des valises, on les connaît. »

Codes de conduite, systèmes de signalement et d’enquête

Pour tenter de prévenir ces scandales, les organisations caritatives mettent aussi en place des codes de conduite engageant les employés sur le terrain. Le code de conduite du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), par exemple, interdit explicitement l’achat de services sexuels « en toutes circonstances et dans le monde entier, y compris les pays où la prostitution est légale ».

D’autres ONG dispensent des cours d’éthique à ceux qui partent sur le terrain. De son côté, Oxfam a annoncé une série de mesures, dont la création d’une commission « indépendante » qui passera en revue la culture et les pratiques de l’ONG.

Le groupe de travail spécial du Comité permanent interorganisations (CPI) sur la protection contre l’exploitation et l’abus sexuels (PSEA) dans les situations de crise humanitaire, créé en 2002, publie également régulièrement des rapports listant les bonnes pratiques et mettant en garde les ONG. Dans une note de 2010, ce groupe de travail avait d’ailleurs alerté sur le fait que « la crise en Haïti crée un environnement à haut risque du point de vue de l’EAS [l’exploitation et les abus sexuels] ».

Enfin, un dernier axe d’amélioration a été identifié : rendre les systèmes internes de signalement et d’enquête plus efficaces, en facilitant encore davantage la remontée des plaintes et en donnant plus de temps et de moyens à ceux qui les vérifient. Même si ces objectifs contredisent en partie ceux des donateurs : ceux-ci souhaitent souvent que leurs dons soient dépensés sur le terrain, pour venir en aide aux bénéficiaires, plutôt que pour mettre en place davantage de contrôles lors des recrutements ou de moyens pour les enquêtes internes.

« Beaucoup de gens disent que les organisations humanitaires dépensent trop d’argent pour l’administration, et pas assez sur le terrain. Mais pour éviter ce type de comportement, vous devez mettre en place des contrôles. Et ça coûte de l’argent », rappelle Mike Jennings.