« Eva » : une liaison toxique sans aucun piquant
« Eva » : une liaison toxique sans aucun piquant
Par Murielle Joudet
Après Joseph Losey, le cinéaste Benoît Jacquot offre une pâle adaptation du roman de James Hadley Chase.
Roman noir de l’écrivain britannique James Hadley Chase publié en 1945, Eva fit l’objet d’une adaptation par Joseph Losey, en 1962. Cen’est certainement pas le film le plus inspiré de sa filmographie. Cette nouvelle version, signée Benoît Jacquot, ne nous laissera pas non plus un souvenir des plus marquants.
On comprend pourtant ce qui a pu intéresser le cinéaste, qui entame là sa sixième collaboration avec Isabelle Huppert. D’abord, l’envie de réactualiser l’une des facettes du jeu de celle qui a souvent campé des rôles de femmes fatales et vénéneuses, peu sentimentales, au contact desquelles les hommes finissent toujours par se détraquer – notamment dans La Truite, de Losey (1982). Enfin, Jacquot traitant l’écart d’âge en l’inversant (le héros est plus jeune qu’Eva), s’ajoute le souvenir d’un film tourné avec Huppert, L’Ecole de la chair (1998), où l’actrice entamait une liaison aussi brève qu’intense avec un homme plus jeune qu’elle.
Imaginaire sulfureux
Dans ce thriller psychologique noué à une idylle sexuelle entre Bertrand, un imposteur devenu dramaturge à succès (Gaspard Ulliel), et Eva, une prostituée de luxe, Jacquot peine à faire naître la moindre étincelle. On pense à Elle, de Paul Verhoeven (2016), pour cette liaison toxique traitée comme une confrontation. Mais là où le cinéaste hollandais parvenait à faire émerger une matière infiniment subversive et poétique, la mise en scène de Benoît Jacquot fait montre d’un tel désinvestissement qu’on semble naviguer à l’intérieur d’une intrigue qui a la profondeur d’un roman-photo.
Le cinéaste jongle avec des motifs et des situations de film noir sans prendre la peine de les investir d’un regard, se reposant entièrement sur son actrice et sur l’imaginaire sulfureux qu’elle semble invoquer par sa seule présence – on se prend à rêver de ce que Claude Chabrol aurait pu en tirer. A l’intérieur de ce monde de clichés et de rebondissements téléphonés, les acteurs font pourtant ce qu’ils peuvent pour rehausser le goût de cette histoire qui, après deux adaptations, semble vouée à n’offrir que des films faussement corrosifs et très peu inspirés.
EVA - Bande-annonce officielle [Isabelle Huppert, Gaspard Ulliel]
Durée : 02:01
Film français de Benoît Jacquot. Avec Isabelle Huppert, Gaspard Ulliel, Julia Roy (1 h 40). Sur le Web : www.europacorp.com/fr/films/eva