Les femmes sont sous-représentées dans de nombreuses professions, et l’économie n’échappe pas à la règle. Le sujet, vivement débattu depuis le scandale Weinstein et le mouvement #MeToo, agite la communauté des économistes depuis l’été dernier.

En août, une étudiante à Berkeley (Californie), Alice H. Wu a jeté un pavé dans la mare en révélant, dans son mémoire de master, les commentaires sexistes (« chaude », « salope », « sexy », « prostituée »…) tenus sur un forum professionnel célèbre parmi les économistes américains, Econjobrumors.com.

Ses travaux ont fait grand bruit jusqu’en France, où une partie de la profession s’est réjouie que le sujet soit enfin mis en lumière… tandis que l’autre s’est agacée que l’on pointe spécifiquement l’économie, loin d’être la seule matière concernée par les problèmes de parité.

Mercredi 7 mars, Soledad Zignago, économiste à la Banque de France, et Anne Boring, chercheuse affiliée à Sciences Po, qui suivent de près cette thématique, ont publié une nouvelle note sur le sujet, diffusée sur le blog de la Banque de France. Avec cette fois, une question clé : quelle est la part d’économistes femmes dans le monde ? Quels sont les pays où elles sont particulièrement sous-représentées ?

  • Seul 19 % de femmes dans le plus grand répertoire mondial d’économistes

Pour y répondre, elles ont épluché la base de données RePEc (Research Papers in Economics), qui recense plus de 52 000 auteurs d’articles de recherche en économie dans le monde. L’équivalent, en somme, du plus grand répertoire mondial d’économistes, permettant les comparaisons internationales. Résultat : « la part de femmes économistes est faible dans la plupart des pays (19 % en moyenne dans le monde), dans tous les champs de l’économie et stagne dans le temps », révèle la note.

Mais les écarts entre pays sont importants. Les femmes sont ainsi mieux représentées en Europe. Surtout dans les pays latins – elles sont 30 % en Italie, 27 % en Espagne, 26 % en France –, et à l’Est avec 52 % en Roumanie, par exemple. « En revanche, les femmes sont nettement sous-représentées dans les pays anglo-saxons : elles sont 16 % aux Etats-Unis et 18 % au Royaume-Uni, détaillent les auteures. La situation en Amérique latine est assez contrastée, tandis que l’Asie affiche des taux de femmes économistes très bas : 6 % au Japon, en Chine et en Inde ».

  • Un plafond de verre dans le corps professoral

La sous-représentation féminine est encore plus forte si l’on se penche sur leur présence dans les médias. Mais aussi, en termes de nombre de publications, et de leur impact. Selon les classements de RePEc, une seule femme figure ainsi parmi les économistes les mieux classées au monde, à savoir Carmen Reinhart, professeure de finance internationale à la Kennedy School of Government de l’Université Harvard.

« Leur part baisse également à 9-12 % dans les champs où elles sont le moins représentées –finance, économétrie, économie du sport – alors qu’elle atteint 32-37 % dans ceux où elles sont le plus présentes : démographie, pays de l’Est, économie du tourisme », expliquent Anne Boring et Soledad Zignago.

Et la situation n’évolue que très lentement. Toujours selon les statistiques tirées de RePEc, la part des femmes docteurs stagne autour de 17-18 % depuis vingt ans dans le monde – et c’est probablement le plus inquiétant. En France, 43 % des étudiants en première année de licence sont des femmes, selon les données 2016-2017 du ministère de l’enseignement supérieur. Elles sont 51 % en master 2, mais 38 % seulement en doctorat d’économie.

Au niveau du corps enseignant, l’Hexagone est en meilleure position que les Etats-Unis. « Alors qu’outre-atlantique, seulement 29 % des “assistants professors” et 14 % des “full professors” en économie sont des femmes, la situation est un plus équilibrée en France : la proportion de femmes maîtres de conférences était de 43 % en 2016, et celle des femmes professeurs d’université, de 24 % », remarquent les auteures.

Dit autrement : plus on monte, moins les femmes sont présentes – le fameux plafond de verre. En revanche, « les plus jeunes cohortes de maîtres de conférences (moins de 36 ans), sont quasiment paritaires. Il reste à voir si les femmes de ces jeunes cohortes passeront professeurs d’université dans les mêmes proportions que leurs collègues masculins ».

  • Un impact négatif sur la qualité de la recherche

Sont-elles plus, ou moins nombreuses en économie que dans les autres disciplines universitaires ? Plutôt dans la moyenne. Sans surprise, les femmes maîtres de conférences et professeurs sont plus représentées en anthropologie, sociologie, psychologie et littérature comparée, mais moins représentées en mathématiques, mécanique et informatique.

Au-delà des chiffres, la parité en économie n’est pas seulement une question d’équité. « Plusieurs travaux, comme ceux des économistes Amanda Bayer et Cecilia Rouse, montrent que la sous-représentation des femmes dans la profession a un impact négatif sur la qualité de la recherche, en réduisant la diversité des points de vue, et de l’enseignement, car elle donne moins envie aux étudiantes de poursuivre des études en économie », précise la note.

Reste à expliquer pourquoi les femmes sont si peu représentées dans la profession – sujet auquel les auteurs s’attaqueront dans une prochaine étude. Les travaux déjà menés sur le sujet, notamment aux Etats-Unis, évoquent le poids des représentations, de l’autocensuree ou encore, de la course aux publications, très masculine… « Cette moindre présence est le fruit d’un cocktail de causes complexes, relevant parfois de la misogynie, du conservatisme, des biais inconscients et des obstacles institutionnels », résume Emmanuelle Auriol, du comité « Women in Economics » au sein de la European Economic Association (EEA), une association d’économistes européens.