Berlin ne veut pas « dégenrer » son hymne national
Berlin ne veut pas « dégenrer » son hymne national
Par Thomas Wieder (Berlin, correspondant)
La déléguée ministérielle à l’égalité hommes-femmes s’est attiré une avalanche de critique en proposant d’expurger le chant de ses connotations patriarcales.
Faut-il modifier l’hymne national allemand au prétexte qu’il serait sexiste ? « Non, je ne suis pas favorable à l’idée de changer les paroles », a répondu le président de la République allemande, Frank-Walter Steinmeier, mercredi 7 mars, dans un entretien avec la Saarbrücker Zeitung. Deux jours plus tôt, le porte-parole d’Angela Merkel avait indiqué que la chancelière était également « très satisfaite de l’hymne dans sa version actuelle ».
L’idée de la déléguée à l’égalité hommes-femmes au ministère de la famille, Kristin Rose-Möhring, a donc fait long feu. « Pourquoi ne pas “dégenrer” notre hymne national ? », avait-elle demandé dans un courrier interne au ministère, vendredi 2 mars, estimant que la Journée internationale des droits des femmes, six jours plus tard, serait une bonne occasion de lancer le débat.
Dans ce courrier, Mme Rose-Möhring suggérait deux changements précis dans le troisième couplet du Chant de l’Allemagne, le seul qui continue d’être chanté depuis que les nazis ont rendu imprononçables les premières lignes du poème composé en 1841 par August Heinrich Hoffmann von Fallersleben (« Deutschland, Deutschland über alles », littéralement « L’Allemagne, L’Allemagne au-dessus de tout »).
A la place de Vaterland, qui signifie étymologiquement « le pays du père », elle proposait d’utiliser le mot Heimat, qui désigne lui aussi l’idée de « patrie » mais sans image masculine, d’autant plus qu’il est de genre féminin. Seconde modification : l’adverbe brüderlich, que l’on peut traduire par « fraternellement » mais qui véhiculerait lui aussi un imaginaire exclusivement masculin (Bruder signifiant « frère »). D’où son idée de le remplacer par couragiert, qui, comme on l’aura deviné, veut dire « courageusement ».
« Idée personnelle »
Dans ce même courrier, Mme Rose-Möhring rappelait que d’autres pays avaient déjà procédé à des modifications analogues. Ainsi de l’Autriche qui, depuis 2012, ne fait plus seulement référence à ses « grands fils » mais mentionne ses « filles et fils » dans le premier couplet de son hymne national. Autre exemple : le Canada. Depuis début février, la phrase « True patriot love in all thy sons command » (« Un véritable amour de la patrie anime tous tes fils ») a été remplacée par : « True patriot love in all of us command » (« Un véritable amour de la patrie nous anime tous »).
A vrai dire, Mme Rose-Möhring a vite pu constater qu’elle était bien isolée en Allemagne. A la suite de la parution d’extraits de sa lettre dans le quotidien conservateur Bild, dimanche, une avalanche de commentaires a envahi les réseaux sociaux, pratiquement tous négatifs. Sans surprise, le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) a très vite réagi, dénonçant une proposition « arrogante et inculte ».
Au sein de la droite conservatrice (CDU), plusieurs personnalités de premier plan ont également condamné cette initiative. « Il me semble qu’il y a des sujets plus importants pour les femmes que de changer l’hymne national », a ironisé Julia Klöckner, la future ministre de l’agriculture de Mme Merkel, l’un des visages de la nouvelle génération de la CDU, résolument conservatrice sur les questions de société. L’un des posts ayant le plus circulé est celui des « jeunes conservateurs » de Munich : on y voit un drapeau allemand accompagné de l’avertissement : « Pas touche à notre hymne national ! »
Dans son camp non plus, Mme Rose-Möhring n’a guère trouvé de soutien. « Il s’agit d’une idée personnelle de la déléguée à l’égalité hommes-femmes », s’est ainsi contenté de commenter le porte-parole du ministère de la famille, dirigé par les sociaux-démocrates.