500 000 femmes étaient rassemblées devant le Congrès argentin le 8 mars à Buenos Aires pour réclamer le droit à l’avortement et protester contre les politiques d’austérité du président de centre droit Mauricio Macri. / Tomas F. Cuesta / AP

Des centaines de milliers de personnes ont défilé dans les rues de Buenos Aires, jeudi 8 mars, à l’occasion d’une « grève internationale des femmes », dont la principale revendication, dans un pays qui l’interdit toujours, était le droit à l’avortement. La manifestation a toutefois pris une tournure très politique, se transformant en un véritable réquisitoire contre les politiques d’austérité du président de centre droit de la République argentine, Mauricio Macri.

« Nous faisons grève contre les licenciements, les restrictions budgétaires du gouvernement et pour l’avortement légal, sans risque et gratuit », a tonné la journaliste Liliana Daunes sur la scène installée devant le Congrès, devant un parterre de quelque 500 000 femmes, selon les organisatrices (la police n’a pas fourni d’estimation). Les hommes, à qui les féministes avaient demandé de ne pas venir ou de se placer à l’arrière, étaient largement minoritaires.

Le bilan donné est plus de deux fois supérieur à celui revendiqué le 21 février par les syndicats et les organisations sociales qui avaient appelé à manifester contre la rigueur budgétaire du gouvernement (200 000 personnes, 80 000 selon la police).

« De la poudre aux yeux »

Devant le Congrès argentin, le 8 mars à Buenos Aires. / MARCOS BRINDICCI / REUTERS

« La grande différence avec les autres manifestations du 8 mars, c’est le nombre de participantes, bien sûr : je n’ai jamais vu autant de monde, même lors de l’énorme manifestation du 3 juin 2015 contre les violences faites aux femmes, assure Ximena Schinca, journaliste et membre du collectif #NiUnaMenos (« pas une [femme] de moins »). Mais l’autre grande différence, c’est que la protestation contre la politique d’austérité du gouvernement est au centre des revendications. »

Le matin même, Mauricio Macri, qui avait affirmé, alors qu’il était maire de Buenos Aires, que « toutes les femmes aiment qu’on leur dise qu’elles ont un beau cul », avait annoncé lors d’une cérémonie pour la journée internationale des droits des femmes qu’il présenterait un projet de loi pour garantir l’égalité des salaires entre hommes et femmes (la différence en faveur des hommes est de 27 % en Argentine). « Ce n’est pas possible qu’une femme gagne moins qu’un homme », a dit le président, dont le gouvernement compte deux femmes ministres pour dix-neuf hommes.

« C’est juste de la frime, on n’y croit pas du tout, dit Victoria, 22 ans, assise sur une pelouse en face du Congrès, et dont c’était la première manifestation féministe. Il fait ça pour calmer les choses au vu du mécontentement populaire. C’est comme ce qu’il a annoncé sur l’avortement : de la poudre aux yeux. »

Mauricio Macri « en faveur de la vie »

Pancarte réclamant la légalisation de l’avortement, le 8 mars à Buenos Aires. / MARCOS BRINDICCI / REUTERS

Quelques jours plus tôt, le 26 février, Mauricio Macri avait en effet annoncé qu’il était favorable à l’ouverture des débats parlementaires sur la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Les discussions sur un projet de loi déposé mardi 6 mars par un collectif féministe doivent commencer le 20 mars et durer plusieurs mois. Les secteurs les plus conservateurs ont déjà exprimé l’espoir que le président, en cas de vote positif, y mette son veto, comme il l’avait déjà fait en 2012. A l’époque, il s’agissait d’une réglementation municipale permettant des IVG entrant dans le cadre de la loi actuelle (viol, malformation du fœtus et danger pour la santé de la femme enceinte) et dont M. Macri, alors maire de Buenos Aires, avait empêché l’application, se revendiquant « en faveur de la vie ».

« En Argentine, c’est souvent sous des gouvernements conservateurs que des lois progressistes ont été votées, leur permettant de se racheter une image, souligne Silvia Augsburger, députée (socialiste) du Parlement régional de Rosario. Comme celle établissant un quota de 30 % de femmes au Parlement, en 1991 [sous la présidence du néolibéral Carlos Menem] ou encore celle sur la stricte parité des listes électorales, promulguée par l’exécutif en décembre 2017. »

Alors qu’il avait remporté les élections de mi-mandat d’octobre 2017, le président a dégringolé de 14 points dans les sondages en trois mois, avec 39 % d’opinions favorables, après une réforme polémique du calcul des retraites, qui a provoqué de violentes manifestations à la fin de l’année 2017. La baisse du pouvoir d’achat, l’inflation toujours élevée et de nombreux licenciements, touchant notamment les femmes, agacent de plus en plus la population.