Le président nord-coréen Kim Jong-un et le président américain Donald Trump, le 9 mars. / STR / AFP

Yannick : Pourquoi ce revirement nord-coréen ? La situation semble se détendre soudainement.

La priorité tactique de la Corée du Nord est d’éviter une frappe préventive américaine. Ce scénario était de plus en plus crédible depuis la fin de l’année dernière, l’opinion internationale commençant à être exposée à l’idée d’une frappe limitée, dite « nez ensanglanté », sur les sites de missiles nord-coréens. La reprise de la diplomatie intercoréenne et l’offre spectaculaire d’un sommet Trump-Kim rendent ce scénario impossible à court terme. Un autre bénéfice immédiat pour Pyongyang, qui conserve l’initiative, est de paraître comme la partie ouverte, désireuse de négocier.

BBBrune : Quel a été le rôle de la Corée du Sud dans ce nouveau rebondissement ?

La Corée du Sud est revenue au centre du jeu, après une année d’incapacité à influencer le cours des événements. La diplomatie secrète entre les deux Corées en fin d’année 2017 a préparé le terrain pour la participation des Nord-Coréens aux Jeux olympiques de Pyeongchang. La Corée du Sud a ouvert un espace diplomatique et fermé la fenêtre aux Américains en se démarquant soudainement de l’approche « pression maximale » de l’administration Trump.

George : La guerre est-elle définitivement à exclure ?

En aucun cas. Un échec du sommet pourrait mener à la guerre. La négociation fait monter les enchères pour tout le monde. La question-clef porte sur le désarmement de la Corée du Nord. Le programme nucléaire est la plus grande réussite du pays ; plus qu’une arme de survie (la dissuasion nord-coréenne repose aussi sur ses forces conventionnelles et son armement chimique et biologique), c’est une arme de statut ; c’est l’arme qui permet au régime de parler d’égal à égal avec le président des Etats-Unis. La confrontation reste donc tout à fait possible sur le cœur du problème, le programme nucléaire.

Osloviking : Selon vous quel sera le lieu choisi pour cette rencontre historique ?

Le plus probable est Panmunjeom, à la frontière de la Corée du Sud. On imagine mal Kim Jong-un sortir de Corée du Nord, et que Donald Trump aille à Pyongyang paraît très prématuré.

Ludovic : La Chine aurait-elle contraint Kim Jong-un à faire cette proposition afin de renforcer Donald Trump aux yeux du monde, sachant que Trump est souvent défini comme du « pain béni » pour la Chine ?

C’est impossible. La Chine a perdu toute influence sur la Corée du Nord, et elle n’est en aucune mesure capable de contraindre Kim Jong-un à quoi que ce soit. En acceptant de soutenir un régime de sanctions beaucoup plus strict, la Chine a pourtant contribué à créer cet environnement où la reprise spectaculaire de la diplomatie semble la seule alternative à une inévitable confrontation.

Gab : Les similitudes entre Donald Trump et Kim Jong-un ne sont-elles pas plus grandes que leurs divisions ?

Le goût du risque, la quête de la surprise, la volonté de dominer le temps stratégique – ce sont trois éléments où leur style de leadership se ressemble beaucoup. La croyance dans la centralité du rapport de force les rapproche aussi. L’un et l’autre veulent gagner, mais peuvent-ils gagner ensemble ?

Il n’y aura de solution gagnant-gagnant que si l’une des deux parties accepte une concession radicale et historique : le désarmement unilatéral ou une forme d’acceptation de la Corée du Nord comme Etat nucléaire. Mais imagine-t-on Donald Trump et Kim Jong-un abandonner leur objectif initial ?

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Sleinkh : Sur quels points les dirigeants vont discuter ? Des accords peuvent-ils être trouvés ? Si oui, dans quels domaines (économiques, militaires, diplomatiques) ?

Les points centraux sont les programmes proliférants (nucléaire, balistique) ; le passage de l’armistice à un traité de paix ; l’établissement de relations diplomatiques ; la levée des sanctions ; des échanges dans le domaine de l’énergie, dont la Corée du Nord manque. Ces points ne sont pas nouveaux. Mais aucun accord n’est possible sans un consensus sur le point central, le programme nucléaire. On aura sans doute un affrontement entre deux logiques, le gel des essais contre le désarmement.

Vanilys : Quelle est l’opinion de la population nord-coréenne au sujet de cette rencontre Kim Jong-un/Donald Trump (si une telle opinion peut être connue bien sûr) ?

Il est impossible de le savoir mais on peut tout à fait imaginer la Corée du Nord mobiliser 100 000 citoyens à Pyongyang pour un accueil triomphal de Donald Trump.

Samuel Pike : Y a-t-il une réaction de la part du Japon ?

Shinzo Abe se rendra à Washington en avril pour obtenir de Donald Trump des garanties sur le sommet. Le gouvernement japonais a soutenu l’approche du président américain, centrée sur la pression maximale. La reprise de la diplomatie est aussi dans l’intérêt du Japon, en première ligne en cas de guerre, menacé de frappes nucléaires par les Nord-Coréens dans certaines de leurs publications et prises de position publiques. Aucun accord n’incluant pas le désarmement n’est dans l’intérêt du Japon.

Le Diplomate amateur : Serait-il envisageable qu’un rapprochement entre les Etats-Unis et la Corée du Nord se fasse sur le dos de la Chine ?

C’est un scénario de rupture stratégique qui paraît peu probable. La Chine n’est plus au centre du jeu, mais elle a la frontière. Sa position géographique en fait un partenaire économique clef pour la Corée du Nord en cas de légère ouverture du régime.

C74 : On sait que la Corée du Nord ne prend peu, voire jamais, en compte les recommandations du Conseil des droits de l’homme à Genève, malgré les conditions de vie terribles dans lesquelles vit la population. Pensez-vous que cette rencontre serait le premier pas vers une « coopération » avec les instances internationales pour la paix et la promotion des droits de l’homme ?

En 2013 une commission d’enquête créée par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a détaillé de manière accablante les violations massives des droits de l’homme en Corée du Nord, et a recommandé que le Conseil de sécurité saisisse la Cour pénale internationale.

La reprise de la diplomatie porte sur le nucléaire et la paix et il est très improbable que Donald Trump puisse obtenir des garanties sur ce plan. Il est possible qu’il tente car la sensibilité à la question des droits de l’homme en Corée du Nord est présente dans le camp républicain américain et le point sera soulevé dans la préparation du sommet.

Sber81 : Peut-on envisager la ratification d’un traité de paix entre les deux Corées sous l’égide des Etats-Unis ?

Une fois dans le domaine de la politique-fiction, tout est possible, mais il semble plus logique que si les deux Corées signent un traité de paix, celui-ci soit purement bilatéral, ne serait-ce que pour une question essentielle, la dignité nationale.