L’Etat condamné pour n’avoir pas suffisamment protégé l’ours des Pyrénées
L’Etat condamné pour n’avoir pas suffisamment protégé l’ours des Pyrénées
Par Audrey Garric
Le tribunal administratif de Toulouse a jugé que « la carence des autorités nationales » pour rétablir l’ursidé dans un état de conservation favorable « constitue une faute ».
L’an dernier, le massif pyrénéen comptait 39 plantigrades répartis en deux noyaux disjoints. / RAYMOND ROIG / AFP
C’est une victoire pour les associations de défense de l’ours. Dans une décision rendue mardi 6 mars, le tribunal administratif de Toulouse a condamné l’Etat pour n’avoir pas suffisamment protégé l’ursidé dans les Pyrénées. Il devra verser 8 750 euros à chacune des deux ONG Pays de l’ours - Adet et Ferus, qui avaient déposé plainte en avril 2015 pour faire reconnaître la « carence de la France ».
A l’issue d’une audience le 13 février, les juges ont considéré que « la France ne satisfait pas à son obligation de rétablissement de l’ours brun dans un état de conservation favorable » et que « la carence des autorités nationales face à cette obligation constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat ». Ursus arctos est classé comme une espèce protégée sur le sol français depuis 1981, ainsi qu’en Europe par la directive Habitat faune flore de 1992.
« Effectif insuffisant »
Ils estiment que, malgré une tendance démographique « globalement positive », l’effectif actuel reste « insuffisant pour assurer la pérennité de l’espèce » et que « l’existence même du noyau occidental est menacée à court terme ».
L’an dernier, le massif pyrénéen comptait trente-neuf plantigrades, après la naissance d’au moins sept oursons, répartis en deux noyaux disjoints sur une aire totale de 3 800 km2 : trente-sept individus dans les Pyrénées centrales et deux dans les Pyrénées occidentales. Mais la population ursine n’est toujours pas viable. « Elle peut disparaître à tout moment dans les Pyrénées occidentales, avec seulement deux mâles depuis 2007, explique Alain Reynes, le directeur de l’association Pays de l’ours-Adet. Dans les Pyrénées centrales, les effectifs, en hausse, restent fragiles et présentent un risque de consanguinité élevé. » Pour preuve, 70 % des oursons nés depuis vingt ans viennent du même père, le vieux mâle dominant Pyros.
En 2012, la Commission européenne avait déjà déclenché une procédure d’infraction contre la France pour « manquement à ses obligations de protection de l’ours brun des Pyrénées ». Un an plus tard, une expertise collective scientifique menée par le Muséum national d’histoire naturelle jugeait « défavorables » les perspectives futures pour l’espèce. Elle chiffrait à deux cent cinquante individus matures l’objectif pour mettre la population à l’abri du danger, avec un premier seuil d’une cinquantaine d’animaux dans l’ensemble du massif. Les scientifiques recommandaient alors de réintroduire rapidement trois ou quatre individus, dont deux femelles, dans les Pyrénées-Atlantiques.
Aucune réintroduction depuis 2006
Pourtant, aucun lâcher n’a eu lieu depuis douze ans par les autorités françaises, à l’exception de l’arrivée d’un mâle slovène en 2016 du côté espagnol, passé en France depuis. Les dernières réintroductions datent de 2006 — cinq spécimens —, après celles de 1996 et 1997 — trois individus —, décidées par les ministères de l’environnement de l’époque.
Et aucun plan de conservation de l’espèce n’a été adopté depuis le dernier, en 2006-2009. « L’importance des oppositions locales à la réintroduction des ours […] ne saurait suffire à justifier ces huit années de retard », dit le tribunal. Et d’ajouter : « Il n’est au demeurant pas établi que les oppositions locales feraient obstacle à toute opération de réintroduction alors qu’il apparaît que les dégâts imputés aux ours sur les troupeaux et les ruches restent relativement mesurés. »
Hausse des attaques
L’an dernier, les attaques avaient connu une forte augmentation, particulièrement dans l’Ariège, le département le plus touché, notamment en raison de dérochements exceptionnels. La mort de plus de six cents ovins a été indemnisée (dont une partie au bénéfice du doute), contre cent soixante-deux attaques imputables à l’ursidé en 2016 — même si ces deux chiffres sont difficilement comparables. De quoi relancer l’opposition des éleveurs à la présence du plantigrade, dont la majorité estime que la cohabitation n’est pas possible.
A l’inverse, les associations avancent un sondage réalisé par l’IFOP à la fin de février pour quatorze ONG, qui montre que les Français sont favorables à 84 % au maintien d’une population d’ours dans les Pyrénées, tandis que 73 % des habitants des Pyrénées occidentales se prononcent pour le lâcher de deux femelles dans le Béarn.
Dans un communiqué commun, publié vendredi, Pays de l’ours - Adet et Ferus se félicitent du jugement et demandent au gouvernement de « programmer dès ce printemps les premiers lâchers de femelles afin d’éviter la disparition de l’espèce en Pyrénées occidentales » ainsi que « l’adoption rapide d’un nouveau plan de restauration de l’ours brun dans les Pyrénées ».