On se bouscule sur le parvis des palais africains ? Tant mieux !
On se bouscule sur le parvis des palais africains ? Tant mieux !
Par Francis Kpatindé (rédacteur en chef du Monde Afrique)
LE BILLET DE FRANCIS KPATINDÉ. Les élections donnent lieu à une profusion de candidatures, pour certaines farfelues. Mais cette situation est préférable à celle qui prévalait à l’époque du parti unique.
La Sierra Leone a ouvert le bal, lundi 7 mars, avec un scrutin présidentiel dont l’une des originalités requiert de chaque candidat de recueillir 55 % des suffrages exprimés valides pour l’emporter au premier tour. On est loin de la simple majorité absolue en vigueur dans la plupart des pays. Dans le sillage de l’ancienne colonie britannique, une dizaine d’élections présidentielles sont prévues en Afrique en 2018 : Egypte, Soudan du Sud, Mali, Zimbabwe, Cameroun, Madagascar et, si telle est la volonté du président Joseph Kabila, République démocratique du Congo (RDC). Ce rythme soutenu se prolongera en 2019 au Nigeria, au Sénégal et en Afrique du Sud, trois Etats influents appelés à désigner leur premier magistrat au suffrage universel direct ou indirect.
L’offre politique et le marketing électoral des candidats ont bien changé ces dernières années. Ils ne vont plus à la bataille avec le sourire et des promesses mirifiques comme seules armes de séduction. Ils sont pris en main, y compris à l’international, par des communicants, « écrivent » des ouvrages de circonstance, bien souvent édités à compte d’auteur. Chacun d’eux se vante d’avoir un compte Twitter, une page Facebook et un site Internet, qu’ils laissent dépérir une fois la compétition électorale terminée.
Quelques-unes des consultations attendues d’ici le mois de décembre devraient, comme en Sierra Leone, drainer du monde dans les bureaux de vote, surtout dans les pays où les électeurs peuvent espérer que les dés ne sont pas pipés d’avance. En revanche, en cas de simulacre d’élection, on peut redouter le pire, avec un « troisième tour » de scrutin dans la rue. L’expérience récente pousse par ailleurs à penser que, presque partout, les prétendants seront légion sur la ligne de départ.
Devenir calife à la place du calife
Ils étaient en effet 16, dont deux femmes, le 7 mars, à briguer le fauteuil de State House, le palais présidentiel niché sur l’une des collines de Freetown, la capitale sierra-léonaise. Contre 20, le 10 octobre 2017, au premier tour de la présidentielle au Liberia voisin. Ils étaient 14 au Sénégal en 2012, « seulement » 8 en Guinée, en 2015, 14 au Burkina Faso et 30 en République centrafricaine, la même année. Enfin, 15 au Niger, 25 aux Comores et 33 au Bénin, en 2016. C’est dire qu’on se bouscule sur le parvis des palais dont les fastes supposés ou réels suscitent bien des convoitises et des vocations.
Preuve de vitalité démocratique ? Dévoiement du pluralisme ? Difficile de trancher, mais les avancées sont indéniables, notamment en termes de libertés individuelles, et les résultats palpables pour ce qui concerne l’amélioration de la qualité de vie. Il n’y a pas match pour qui se remémore la situation de ces pays au tout début des années 1990. Elle pouvait se résumer à la formule suivante : un chef omnipotent, un parti dominant, un média monocorde et un citoyen modèle.
Rien, en tout cas, ne semble pouvoir freiner l’ardeur de ceux qui, à l’image du célèbre personnage de bande dessinée le grand vizir Iznogoud, ambitionnent de devenir calife à la place du calife. Rien. Ni les risques inhérents à la compétition électorale dans les pays qui se refusent avec obstination à amorcer un virage démocratique, ni la peur du ridicule liée à la perspective de finir la compétition avec un score anecdotique. Encore moins le coût – prohibitif pour le citoyen lambda – des cautions financières.
Des cautions rarement remboursées
Petite trouvaille des autorités pour écarter les candidatures fantaisistes et éviter une débauche d’ambitions qui ne manqueraient pas de peser sur les finances publiques, le principe du versement préalable d’une caution financière n’a, jusque-là, pas réussi à infléchir la courbe des aspirants. Remboursable uniquement à ceux qui recueillent 10 % des suffrages exprimés, elle caracolait en 2012 au Sénégal à 65 millions de francs CFA (plus de 99 000 euros). Soit 1 356 fois le salaire minimum interprofessionnel garanti ! Il en aurait fallu plus pour décourager les treize concurrents du chef de l’Etat sortant, Abdoulaye Wade, alors candidat à sa propre succession.
Au Gabon et au Cameroun, deux Etats d’Afrique centrale champions du scrutin uninominal à un tour, pour réduire tout risque d’avoir à perdre au second tour face à une opposition coalisée, la caution électorale est fixée à 30 millions de francs CFA et seuls les candidats ayant franchi la barre des 5 % des suffrages exprimés peuvent recouvrer leur mise de départ. Au Mali, le premier tour de la prochaine présidentielle est fixé au 29 juillet. Et chacun des prétendants doit débourser 25 millions de francs CFA, sans aucun espoir d’en récupérer la totalité car seule la moitié est remboursée aux compétiteurs ayant recueilli 5 % des voix.
La RDC, dont les dirigeants tardent à dessein à organiser des élections générales depuis 2016, a pris, pour sa part, une option radicale. La caution financière, 100 millions de francs congolais (plus de 50 000 euros) dans un pays où le salaire minimum atteint péniblement les 165 000 francs congolais, n’est pas remboursée. C’est bien connu, l’Etat engrange, bien souvent avec appétit, mais il débourse, presque toujours, avec parcimonie.