« Chien » : une vie de chien, au sens propre
« Chien » : une vie de chien, au sens propre
Par Jacques Mandelbaum
Samuel Benchetrit poursuit sa veine absurde et métaphysique à travers l’histoire d’un homme réduit à la condition canine.
Vincent Macaigne, confronté à la cruauté du monde et des hommes. / PARADIS FILMS
Chez Samuel Benchetrit, écrivain et cinéaste, la comédie grince des dents depuis toujours. Commencée en 2003 avec Janis et John, l’aventure du 7e art se poursuit aujourd’hui avec un sixième long-métrage, Chien (adapté comme le précédent, Asphalte en 2015, d’un de ses romans), qui ne déroge ni à cette règle ni au style très singulier, très bizarre qui la décline. Aki Kaurismaki, Jim Jarmusch, Alex Van Warmendam peuvent, notamment, traverser l’esprit. Un esprit de cocasserie triste, de dépression trash, d’absurde métaphysique y parfume des semi-paumés en quête de pas grand-chose, reclus dans des trous léchés par la mise en scène. Un genre de cinéma bouclé de pied en cap qui peut rebuter, possédant toutefois suffisamment de charme et d’intelligence pour intéresser souvent, et donc séduire.
Voyez l’histoire abracadabrante que nous conte Chien, qu’on pourrait présenter comme une métamorphose kafkaïenne de Didier (1997), d’Alain Chabat, croisée avec une interprétation littérale du chef-d’œuvral Ne me quitte pas, de Jacques Brel. Un type, qui s’appelle Jacques Blanchot (Vincent Macaigne), preuve liminaire que la vie n’est pas bien partie pour lui (qui s’appelle Jacques aujourd’hui ? Qui se rappelle Blanchot ?), perd du jour au lendemain tout ce qui constituait sa raison de vivre. Sa femme, son fils, son travail, sa maison, qu’il s’agit tout de même de continuer de payer pour ne plus y vivre. Le pourquoi ne sera jamais explicité par le film, en cela d’une louable concision et d’un réalisme d’airain : peu nombreux sont ceux qui le savent.
Dostoïevski rôde
Le comment, en revanche, est mieux servi. Comment, notamment, et même essentiellement, Jacques Blanchot devient un chien. Assez simple. Il suffit de croiser le chemin d’un Belge sadique qui fait profession d’en vendre (Bouli Lanners), de s’endetter pour payer à votre fils un chihuahua qui ressemble à Hitler, de rentrer à la maison sans l’animal qui s’est en chemin fait ratatiner par un 15-tonnes, d’entendre votre femme (Vanessa Paradis, impavide et parfaite) vous expliquer qu’elle développe une allergie cutanée sévère à votre présence, de retourner chez le marchand pour essayer de vous faire rembourser les cours de dressage hors de prix qu’il vous a fait débourser à l’avance, d’accepter, in fine, les conditions de plus en plus démentes qu’il vous impose pour soi-disant vous rendre service, et la messe sera dite.
CHIEN de Samuel Benchetrit | Teaser 1
Durée : 00:38
C’est une Passion qui s’inaugure alors. Faire le chien, comme on ferait le mort. Accepter l’avilissement, la bêtise, la cruauté du monde et des hommes (et des femmes sauf le respect de #metoo), avec un exemplaire abandon de soi-même et de grands yeux confiants qui défient sans ciller le Mal triomphant sur la Terre. Dostoïevski rôde, Twin Peaks aussi. Blanchot, viré de partout, cher à plus personne, rebut vivant, devient SDF et est recueilli par le maître-chien, seule personne au monde qui se soucie de lui, à condition qu’il se comporte bien, et reçoive les coups en chien. La marche du film, sur le fil de ce surréalisme verdâtre renchéri au scope, en devient presque pénible. Le monde, en vérité, l’est-il moins ?
Film français de Samuel Benchetrit. Avec Vincent Macaigne, Vanessa Paradis, Bouli Lanners (1 h 34).