Formule 1 : le pilote d’essai est une pilote
Formule 1 : le pilote d’essai est une pilote
Par Catherine Pacary (Envoyée spéciale à Barcelone)
A 25 ans, Tatiana Calderon est pilote d’essai chez Alfa Romeo Sauber. Un poste qu’elle est la seule femme à occuper ; une étape vers son but ultime de piloter une F1.
La pilote colombienne Tatiana Calderon a été confirmée le 5 mars pilote d'essai de l'écurie de F1 Alfa Romeo Sauber pour la saison 2018. / ALFA ROMEO SAUBER
Assise à une table sous une tente, une jeune femme pianote sur son Smartphone. Ses longs cheveux lisses et châtains encadrent un visage aux contours encore arrondis de l’enfance. Avec ses grands yeux noirs et son petit gabarit, 1,63 m pour 57 kg, on lui donnerait 18 ans. Erreur. Tatiana Calderon en affiche 25, promène une allure de jeune fille sage des années 1970, mais cache un caractère de garçon manqué, et un métier insoupçonné : pilote d’essai chez Alfa Romeo Sauber pour 2018 depuis le 5 mars à Barcelone.
Une fonction que la Colombienne occupera en parallèle à sa troisième saison de GP3 (Grand Prix 3), l’antichambre de la formule 1, ce rêve caressé depuis l’enfance. Tatiana n’en doute pas. Une pilote peut très bien gagner au plus haut niveau du sport automobile. Et si cette femme c’était elle?
Pilote de F1, son obsession
Tatiana Calderon est une enfant de la balle ou plutôt du volant. Pour les 5 ans de sa fille, son père, concessionnaire KIA à Bogota et grand fan de sport automobile, lui offre sa première moto. A 9 ans, elle découvre le kart. « Dès mes premiers tours, je suis tombée amoureuse et j’y suis retournée tous les jours après l’école », raconte-t-elle. Elle commence la compétition l’année suivante, en même temps que son aînée de huit ans, Paula. Cette différence d’âge explique pourquoi les deux sœurs ne courent pas dans la même catégorie jusqu’en 2014.
Cette mise en rivalité se révèle catastrophique : fusionnelles, incapables de s’affronter, les deux sœurs laissent la victoire à une troisième. Elles retiennent la leçon. A partir de ce jour, Paula ne sera plus contre mais au côté de Tatiana, pour l’accompagner comme agente, comme manageuse.
Etudiante au collège suisse de Bogota, la cadette ne change pas d’orientation : « Je veux être pilote de formule 1. C’est une obsession. » A la maison, cette perspective divise. « Mon père était sincèrement heureux, ma mère pas tant que ça. A 10 ans, elle m’avait mise au foot, à l’équitation. » Mais rien n’y fait. La maman se résigne, sous condition que sa fille poursuive ses études — Tatiana est titulaire d’un master de marketing. Depuis, première supportrice de sa fille, Mme Calderon assiste à toutes ses courses. Paula, elle, gère « TC », la marque Tatiana Calderon. Seul le frère, inscrit en administration des affaires à l’université, n’a pas encore intégré la microentreprise familiale.
« Améliorer mes performances »
Un entourage bienveillant indispensable pour relever le défi que Tatiana Calderon se fixe pour 2018 : « Améliorer mes performances. » Vingt et unième au championnat GP3 en 2016, 15e en 2017, elle doit encore grimper dans la hiérarchie pour espérer piloter un jour en Grand Prix. Cette année « le règlement interdit d’avoir un contrat en F1 et en GP3 », précise Fred Vasseur, patron de l’écurie Alfa Romeo Sauber. L’homme qui lui a donné sa première chance lui assure en revanche son soutien « dans tout ce qu’elle entreprend ».
Un appui moral qui permet à la jeune Colombienne de cocher toutes les cases de son emploi du temps bien chargé : neuf heures de simulateur, « debriefs » techniques, deux à trois heures de gym, parfois une séance de coaching mental, toujours un entraînement GP3 — le championnat de neuf courses s’ouvre le 13 mai à Barcelone. De longues journées au cours desquelles elle partage souvent la « salle de simu » avec un autre jeune pilote, le Français Esteban Ocon, 8e en 2017 avec Force India F1.
Tatiana Calderon et Esteban Ocon, une fille et un garçon. Luttent-ils à armes égales ? La jeune Colombienne en est convaincue, à condition de s’entraîner suffisamment dur pour se hisser au niveau physique de son camarade d’entraînement : « Nous [femmes] avons en moyenne 30 % de muscles maigres de moins. » Susie Wolff, pilote d’essai chez Williams en 2015 et première pilote de F1 en Grand Prix depuis 1992, a démontré que c’était possible.
Le plus difficile est ailleurs : se faire respecter. « Au début [en kart], les garçons essayaient de me faire sortir de la piste. » Jusqu’à ce qu’un mécanicien la conseille. « Il m’a dit : “Aujourd’hui, je ne veux pas que tu les dépasses, je veux que tu les sortes tous.” C’est ce que j’ai fait et j’ai commencé à gagner leur respect. »
Another step in the right direction, very happy to support and be an ambassador of the @fia #FIAWIM European Young… https://t.co/yzF0fVKuP5
— TataCalde (@Tatiana Calderon)
Ambassadrice du Défi filles en karting
Un autre combat se mène hors piste, pour susciter des vocations. Le 7 mars, veille de la journée des droits de la femme, Tatiana Calderon a rejoint à Genève ses aînées, Susie Wolff et Michèle Mouton, vice-championne du monde des rallyes, pour lancer l’opération de détection de jeunes talents de la Fédération internationale de l’automobile (FIA). Baptisée le « Défi des filles en karting » et intégrée au programme Erasmus +, elle concerne les 13-18 ans. Tatiana Calderon est aussi l’ambassadrice, pour les plus jeunes, du programme « Dare to Be Different » (« Ose être différente »), créé par Susie Wolff en 2016. Des initiatives qui ne doivent pas faire oublier l’essentiel, rappelle cette dernière : « J’ai appris au cours de ma carrière qu’être performant donne du pouvoir. Si vous avez des résultats, votre genre n’a vite plus aucune importance. »