Un visiteur photographie « L’Origine du monde », de Gustave Courbet, exposé au Musée d’Orsay, à Paris. / FRANCOIS MORI / AP

Cela faisait sept ans que Frédéric Durand-Baïssas attendait des réponses. Sept ans que ce professeur des écoles accusait Facebook d’avoir désactivé son compte personnel à cause d’une simple photo de tableau. Jeudi 15 mars, une faute du réseau social a finalement été reconnue par la justice, mais pas sur le fond de l’affaire. Le tribunal a jugé illicite une clause établie par Facebook, qui lui donnait le droit de désactiver le compte d’une personne sans nécessairement avoir à lui donner une justification. M. Durand-Baïssas a d’ores et déjà annoncé qu’il ferait appel.

L’affaire a commencé en 2011. Cette année-là, M. Durand-Baïssas poste sur son profil Facebook L’Origine du monde, une œuvre de Gustave Courbet représentant un sexe féminin. Quelque temps après, il s’étonne de voir son compte désactivé pour non-respect des règles d’utilisation du réseau social. Il demande alors à Facebook de revenir sur sa décision, mais l’entreprise refuse. Le professeur décide, quelques mois plus tard, de porter plainte pour atteinte à la liberté d’expression.

Eviter « le vrai débat »

Les procédures judiciaires ont ensuite traîné de longues années, Facebook s’évertuant à répondre sur la forme de la plainte. L’entreprise de Mark Zuckerberg estimait, par exemple, que les tribunaux saisis n’étaient pas les bons, un argumentaire rejeté à deux reprises, au tribunal de grande instance de Paris, en mars 2015, puis en appel, en 2016. Selon les avocats du plaignant, Marion Cottineau-Jousse et Stéphane Cottineau, il ne s’agissait ni plus ni moins que d’une manœuvre destinée à gagner du temps et à éviter « le vrai débat », à savoir celui d’une violation de la liberté d’expression.

Pour les avocates du réseau social, le compte n’a été supprimé qu’en raison de l’utilisation d’un pseudonyme, à l’époque contraire aux règles d’utilisation de Facebook. Le 1er mars, au palais de justice de Paris, elles avaient réclamé le versement par Frédéric Durand-Baïssas d’un euro symbolique pour « atteinte à l’image et à la réputation » de Facebook.

Une décision « un peu frileuse »

Jeudi, Me Cottineau-Jousse évoque finalement une décision « un peu frileuse ». Cette fois encore, elle, son confrère et leur client ont l’impression que le tribunal n’est pas allé au bout du questionnement.

« C’est intéressant qu’une faute ait été reconnue, mais le problème, c’est que pour autant, on ne reconnaît pas que Frédéric Durand-Baïssas a subi un préjudice. On ne parle pas de tous les textes qu’il avait écrits sur sa page Facebook et qu’il a perdus, ni du reste. »

Car la notion de préjudice n’a pas été retenue. Le plaignant ne pourra donc pas réactiver son compte. Une décision justifiée dans le délibéré avec le même argumentaire que Facebook avait utilisé début mars : Frédéric Durand-Baïssas avait ouvert un deuxième compte après la suppression du premier, et donc pouvait continuer à utiliser librement le réseau social.

La question de la modération de la nudité laissée en suspens

Me Cottineau-Jousse regrette également que la cour ne se soit pas penchée sur la question de la censure, ou non, du tableau. « Dans la décision, on ne parle ni d’art ni de nudité. On ne se demande pas non plus pourquoi à chaque fois ce sont des représentations de corps féminins qui sont censurés », regrette-t-elle, faisant référence à une récente censure de la statue d’une Vénus paléolithique.

Joint au téléphone, Frédéric Durand-Baïssas se dit « assez déçu » :

« C’est une décision qui n’en est pas vraiment une, on ne traite pas du vrai problème. J’ai des élus locaux, des artistes, des amis amateurs d’art qui attendaient de vraies réponses sur le fait de pouvoir ou non poster des nus sur Facebook. Finalement, Facebook a réussi à faire glisser le débat sur un autre terrain, à faire en sorte qu’on ne parle pas de la nudité, y compris dans l’art. »

Le professeur des écoles se dit malgré tout « content » du travail de ses avocats. « Ils ont réussi à obtenir une avancée majeure pendant ce procès, lorsqu’on a reconnu que Facebook pouvait devoir répondre de ses actes devant un tribunal français. Je suis persuadé que cela servira à d’autres que moi. »

Facebook, de son côté, a réagi par un communiqué envoyé au Monde. « Nous avons pris connaissance de la décision rendue aujourd’hui et tenons à rappeler que L’Origine du monde est un tableau qui a parfaitement sa place sur Facebook », y écrit Delphine Reyre, directrice des affaires publiques Facebook France et Europe.