Des couples mixtes sur le Web chinois pour dépasser les clichés sur les Africains
Des couples mixtes sur le Web chinois pour dépasser les clichés sur les Africains
Par Sébastien Le Belzic (chroniqueur Le Monde Afrique)
Raconter son quotidien sur les réseaux sociaux, faire témoigner des expatriés dans un film sensible, notre chroniqueur piste les initiatives de la diaspora pour sortir de l’isolement.
Installés dans le nord-est de la Chine, Sandra Made Tchinda Falone, Camerounaise, et son mari Zou Qian Shun racontent chaque jour leur vie de couple mixte en direct sur Internet. / DR
Chronique. Sur la plate-forme Internet KuaiShou, 26 700 abonnés suivent en direct la vie quotidienne de Sandra Made Tchinda Falone. Cette Camerounaise de 28 ans, ancienne coiffeuse, vit depuis un an dans la ville de Dandong, dans une province reculée du nord-est de la Chine, à la frontière avec la Corée du Nord.
« Je connais seulement trois étrangers ici. Trois Africaines : une Ivoirienne, une Ghanéenne et une autre Camerounaise. Mais, à part elles, je suis seule. Je vis ici avec mon mari chinois et notre petit garçon de 4 mois. J’ai décidé de montrer mon quotidien en direct sur les réseaux sociaux pour répondre aux questions que se posent de nombreux Chinois sur les couples mixtes… et aussi pour gagner un peu d’argent », explique-t-elle.
En effet, le couple répond aux questions des internautes en change de cadeaux via l’application sous la forme d’emojis ou d’enveloppes vendus entre 0,50 et 3 euros. Une pratique très répandue sur les réseaux sociaux chinois.
« Tu n’as pas trop froid l’hiver ? »
« Comment est-ce que vous communiquez ? », demande l’un. « Votre enfant est-il plutôt chinois ou africain ? », interroge un autre. « Sandra, tu n’as pas trop froid l’hiver là-bas ? » s’inquiète un dernier. « Les gens nous posent surtout des questions concernant notre vie de tous les jours, résume Zou, le mari. Comment nous gérons les différences culturelles, quel type de cuisine nous faisons, l’éducation de notre bébé… Nous essayons de répondre à leurs interrogations. »
Si quelques dizaines de milliers d’Africains sont installés dans le sud de la Chine, autour de Canton, quelques milliers encore à Yiwu (est), et plus de 50 000 dans les grandes universités du pays, ils sont presque absents des provinces rurales.
Le couple s’est marié au Cameroun en mars 2017. Zou Qian Shun y a vécu plus de deux ans – il était capitaine d’un bateau de pêche –, avant de revenir chez lui, où il gère maintenant un petit commerce avec sa famille. « Il en a gardé un très mauvais souvenir », explique son épouse. « Même si la vie est très difficile pour moi ici, je pense que j’aime quand même plus la Chine que lui le Cameroun, plaisante-t-elle. Nous avons donc décidé d’habiter ici. Au début, c’était un peu tendu avec ma belle-famille, mais nous avons fini par nous accepter. Et puis j’aime mon mari, donc je fais des efforts. »
Réseaux sociaux censurés
Entre eux, ils parlent un mélange de dialecte du Liaoning, d’un peu de mandarin et de quelques bribes de français que Zou a apprises. Pour Sandra, le plus difficile à supporter est le regard des autres. « Quand je sors, les gens se moquent de moi, ils me prennent en photo, ils me montrent du doigt, s’insurge-t-elle. Mon mari m’explique que je suis la seule personne à la peau noire qu’ils ont vue de toute leur vie, mais je suis très vexée. Je trouve que c’est une attitude raciste. »
Son quotidien aussi est difficile : « Rien ne ressemble au pays ici. En France, sur les marchés, on retrouve des produits comme chez moi, mais ici tout est différent. » Faute d’accès aux réseaux sociaux, notamment à Facebook, qui est censuré en Chine, elle a dû convertir sa famille aux applications chinoises de messagerie instantanée comme WeChat.
La décision qu’elle a prise il y a quelques mois de raconter sa vie sur le réseau KuaiShou a bouleversé la vie du couple. Des médias chinois et des sites d’information comme Baidu et Sohu sont venus les interviewer. Le quotidien de Hongkong South China Morning Post leur a même consacré un article repris sur de nombreuses plates-formes en Chine continentale. Une curiosité qui a fait de ce couple atypique des célébrités du Net et contribue à une meilleure acceptation des unions mixtes dans ce pays encore très fermé aux cultures africaines.
« Se sentir différente »
Montrer le quotidien des Africains de Chine, c’est aussi l’objectif qui a conduit Hodan Osman Abdi, enseignante somalienne à l’Université normale du Zhejiang, à réaliser un film documentaire. Arrivée dans le pays en 2005 avec une bourse d’études, elle a étudié le mandarin, puis le commerce international, avant d’enseigner au sein du département des études africaines. « Au début, j’étais la seule étrangère de ma classe, se souvient-elle. Je sais très bien ce que cela peut faire de se sentir différente. Mais quand j’ai obtenu mon doctorat, les regards ont changé. On a commencé à me respecter. »
Hodan Osman Abdi, enseignante somalienne à l’Université normale du Zhejiang, a réalisé un film documentaire sur les Africains installés dans la ville portuaire de Yiwu. / DR
Située non loin de son université, la ville portuaire de Yiwu est le cœur du commerce sino-africain. Plus de 3 000 résidents permanents venus de 50 pays du continent y travaillent. Hodan Osman Abdi a voulu témoigner de la vie de certains d’entre eux, à travers des portraits et des entretiens. Son film, Les Africains de Yiwu, a été diffusé sur CCTV 4, une chaîne nationale, et sur le site iqiyi.com.
« Nous visons une audience chinoise essentiellement, afin de donner plus d’exposition aux Africains dans les médias nationaux et de changer le regard que portent la plupart des Chinois sur cette diaspora », explique Hodan Osman Abdi. « J’ai voulu entrer dans l’intimité des personnages : leur vie, leurs histoires d’amour, leurs succès, leurs difficultés au quotidien. Sortir des stéréotypes généralement véhiculés ici. » Là encore, l’histoire de couples mixtes tient une part importante.
Reste à contourner la censure, très présente dans les médias chinois. « On nous a demandé de ne pas parler des questions religieuses. C’est le seul interdit, mais c’est dommage parce que la religion reste une part importante de la vie des Africains, où qu’ils se trouvent dans le monde. » Mais pas question encore de parler politique ou religion dans les médias, même si le régime communiste accepte doucement d’ouvrir ses fenêtres aux autres cultures.
Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica.info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.