Au Royaume-Uni, le soupçon de biais racial resurgit dans une vaste affaire d’exploitation sexuelle
Au Royaume-Uni, le soupçon de biais racial resurgit dans une vaste affaire d’exploitation sexuelle
Par Philippe Bernard (Londres, correspondant)
L’enquête du « Daily Mirror » sur un réseau pakistanais met en question l’attitude des élus et des autorités.
Les élus travaillistes et la police locale ont-ils fermé les yeux sur l’exploitation sexuelle à grande échelle sur des mineures dans des villes défavorisées du Royaume-Uni par des gangs d’hommes principalement d’origine pakistanaise, par crainte d’être accusés de racisme ? Le soupçon, confirmé en 2014 à Rotherham (nord de l’Angleterre), resurgit depuis la publication par le Daily Mirror, le 11 mars, d’une enquête portant sur la ville de Telford, dans le centre du pays. Ce tabloïd, proche du Labour, agrège des témoignages remontant jusqu’aux années 1980, pour affirmer que « près d’un millier de jeunes filles, certaines âgées de seulement 11 ans, [y] ont été violées, battues et vendues comme esclaves sexuelles ».
Ce trafic, souvent organisé par des gérants de fast-food, avait été révélé au début des années 2010 et sept hommes avaient été condamnés en 2013 à des peines de prison. Tous étaient d’origine pakistanaise tandis que leurs victimes étaient « blanches », selon une nomenclature courante au Royaume-Uni. Mais selon le Mirror, alors que d’autres accusations avaient été portées, « les autorités ont négligé de conserver le signalement des membres des communautés asiatiques [Indiens et Pakistanais] par peur du “racisme” ». Connu depuis longtemps, le trafic de jeunes filles et leur exploitation auraient pris, à Telford, une ampleur beaucoup plus vaste que celle reconnue par les autorités.
Sordides, les récits publiés par le quotidien décrivent un système où des adolescentes, voire des fillettes, de milieux pauvres, sont attirées par les cadeaux d’hommes sans scrupule, rendues dépendantes par l’alcool ou la drogue puis utilisées comme esclaves sexuelles. « Chaque nuit, j’étais forcée d’avoir des relations sexuelles avec plusieurs hommes dans des fast-foods dégoûtants et des maisons sales, affirme une femme, âgée de 14 ans à l’époque des faits. Je devais prendre la pilule du lendemain deux fois par semaines sans poser de questions. »
Scepticisme
Les témoignages du Mirror accablent aussi les services sociaux, qui auraient fermé les yeux, et la police, qui aurait rejeté des plaignantes, les considérant comme « consentantes ». Il décrit les ravages causés à long terme en termes de santé mentale. Alors que les auteurs des sévices se seraient comptés par dizaines voire centaines, seuls sept ont été condamnés. Tom Harding, le chef de la police locale, estime que le « millier » de victimes recensées par le journal est un chiffre gonflé pour « faire du sensationnel » avec des faits accumulés « depuis vingt ou trente ans ».
Lors des procès de 2013, les policiers avaient estimé à une centaine le nombre de jeunes filles victimes. Le commissaire dit travailler aujourd’hui sur 46 plaintes ou signalements et assure que les auteurs de crimes et délits sexuels « reflètent proportionnellement la diversité de la population ». A Rotherham, l’enquête a établi que pas moins de 1 400 mineurs ont été livrés à des prédateurs sexuels entre 1997 et 2013.
Devant l’émotion suscitée par les accusations du Mirror, la ministre de l’intérieur, Amber Rudd, a confirmé que l’enquête indépendante sur les abus sexuels sur les enfants, ouverte en 2014, couvrirait Telford. Il ne s’agit pas d’une procédure de type pénal, mais d’investigations sur les éventuels dysfonctionnements des institutions, notamment les services de santé, de police et d’aide à l’enfance. Plusieurs victimes affirment avoir trouvé porte close, s’être heurté à du scepticisme, voire subi des intimidations lorsqu’elles ont voulu se plaindre.