Les avocats ont lancé, mercredi 21 mars, des actions de protestation partout en France contre le projet de réforme de la justice. Les critiques sont particulièrement violentes contre ce projet de loi de programmation, dont les grandes lignes ont été présentées à Reims le 9 mars par le premier ministre et la garde des sceaux. Le texte, soumis au Conseil d’Etat mercredi, devrait passer en conseil des ministres le 18 avril.

L’assemblée générale du Conseil national des barreaux (CNB) des 16 et 17 mars avait appelé à cette journée « justice morte » en dénonçant un texte « attentatoire aux libertés individuelles » et une « privatisation de la justice ». Les avocats ont le sentiment d’être absents de cette réforme qui embrasse pourtant tous les volets du fonctionnement de la justice.

Les assemblées générales réunies ces derniers jours dans chaque barreau ont la plupart voté, comme à Paris, Lorient, Caen, Toulouse ou Lyon, une grève des audiences de vingt-quatre heures, provoquant des renvois à une date ultérieure des affaires civiles, pénales, prud’homales ou commerciales, et la suspension de la désignation par les bâtonniers des avocats commis d’office dans les procédures d’urgence. Certains barreaux ont voté une grève illimitée, comme à Melun, Béziers (Hérault) ou Auxerre. Des rassemblements étaient prévus devant les palais de justice, comme à Lyon où les avocats devaient organiser « les obsèques de la justice ».

« Instrumentalisée »

Christiane Féral-Schuhl, présidente du CNB, qui s’était pourtant réjouie du dialogue « constructif » engagé avec Nicole Belloubet, la ministre de la justice, affirme aujourd’hui avoir « le sentiment d’avoir été instrumentalisée ». L’un des points qui cristallise la colère des hommes et des femmes en robe noire est l’organisation territoriale de la justice.

La ministre avait donné le sentiment d’une concession en renonçant à créer une hiérarchie entre les cours d’appel avec une référente par région, et entre les tribunaux de grande instance (TGI) avec un tribunal principal par département. « Tous les tribunaux de grande instance seront maintenus », avait-elle affirmé au Monde le 9 mars, en ajoutant : « Nous ne ferons pas l’alignement des cours d’appel sur les régions administratives. » Mais, dans sa dernière mouture, si le projet du gouvernement maintient chaque TGI et chaque cour d’appel, il permettra de confier par décret à certaines de ces juridictions et pour certaines matières civiles la totalité du contentieux du département ou de la région.

Hélène Thirion, bâtonnière de Melun, s’inquiète ainsi « d’une suppression déguisée de lieux de justice en Seine-et-Marne », alors que le département compte trois TGI (Fontainebleau, Meaux et Melun). Pour Bernard Bories, membre du conseil de l’ordre de Béziers, « sous couvert de réforme technique et de création de chambres spécialisées, on crée des déserts judiciaires, on est dans la continuité de la réforme Dati ». La fermeture de juridictions décidée au début du quinquennat de Nicolas Sarkozy a laissé des traces. Selon M. Bories, « la concentration des moyens sur certaines juridictions n’améliorera pas la justice et l’éloignera du justiciable ». Pour le tribunal de Béziers, ce pourrait être au profit du TGI de Montpellier.

Régression des droits de la défense

La présidente du CNB dénonce aussi la place faite dans le projet de loi aux plates-formes privées de médiation. « Nous ne sommes pas contre la déjudiciarisation, mais à condition que l’avocat soit présent pour apporter de la sécurité, et non que ce soit organisé au profit de plates-formes privées, des notaires ou des huissiers », justifie Mme Féral-Schuhl.

Les avocats sont tout aussi remontés contre la réforme de la procédure pénale. « C’est un projet de loi à visée répressive qui répond aux seules demandes de la police et des parquets », juge celle qui a été élue à la tête du CNB en novembre. De fait, le texte facilitera la prolongation de la garde à vue au-delà de vingt-quatre heures et permettra par exemple que l’interrogatoire de première comparution devant le juge d’instruction se fasse par visioconférence, même sans l’accord de l’intéressé. « Dans une discussion entre un juge et une personne qui risque une mise en examen, la proximité physique, le face-à-face sont essentiels », rappelle Mme Féral-Schuhl, qui dénonce une régression des droits de la défense.

Avec le concours d’une agence de relation presse, qui n’hésite pas à diffuser des demi-vérités, le CNB tire à boulets rouges sur le projet de Mme Belloubet. Mais le fil du dialogue n’est pas coupé, et certaines modifications du texte sont à l’étude place Vendôme. « Le projet n’en est qu’à son tout début », réagit la garde de sceaux, qui n’exclut pas, d’ici le conseil des ministres, « de faire une saisine rectificative du Conseil d’Etat ».