Il est né en 1777, à l’apogée des ­Lumières. Dans une famille pauvre et d’une mère illettrée. Celui que tous s’accordent à appeler « le prince des mathématiciens » ne publia de son vivant qu’une partie de ses découvertes, immenses, fondatrices des mathématiques contemporaines. Il fut, par exemple, le premier à envisager des géométries non euclidiennes, en rupture avec la géométrie classique, mais ne publia pas ce travail « par crainte des cris des béotiens ».

Avant d’évoquer quelques-uns de ses travaux, je ne résiste pas à l’envie de raconter l’histoire de l’instituteur qui demanda à ses élèves, pensant les occuper un bout de temps, de calculer la somme des 100 premiers nombres : 1 + 2 + 3 +… + 100. Essayez, vous n’aurez pas la patience, et… quel intérêt ? L’élève Gauss n’avait pas 10 ans et, en bon mathématicien, n’eut ni patience ni intérêt… mais un peu d’insolence créatrice. « Pourquoi serais-je obligé de calculer cette somme dans l’ordre croissant des nombres ? Car si je ­calcule la somme du premier et du dernier (1 + 100), puis du deuxième et de l’avant-dernier (2 + 99), et ainsi de suite (3 + 98, etc.), chaque paire me donne la même somme, 101. Je dois faire cela 50 fois, le résultat est donc 50 × 101 = 5 050. » Ahurissement de l’instituteur, entendant le gamin donner le résultat en quelques minutes.

« Sublime science »

Essayons d’effleurer son œuvre. C’est dans le domaine des probabilités que son nom est le plus célèbre, avec la fameuse « courbe de Gauss », en cloche : il a décrit une loi modélisant des situations concrètes, dont la répartition est représentée par une telle courbe. On l’obtient, par exemple, en traçant l’histogramme des tailles d’une large population dont la taille moyenne est de 175 cm.

Mais ce sont ses travaux de théorie des nombres, ce cœur des mathématiques, qui lui valent une admiration universelle et une influence vivace. Impossible d’expliquer, ici, sa conjecture sur la répartition des nombres premiers, qui sera démontrée un siècle après sa formulation. Car, comme il l’écrivait : « Les charmes enchanteurs de cette sublime science ne se décèlent dans toute leur beauté qu’à ceux qui ont le courage de l’approfondir »

Revenons à des résultats plus importants. Il a introduit la notion de « congruences ». Les « congruences modulo 12 » vous sont familières. Sur un cadran d’horloge, 12 et 0 sont confondus (12 = 0). Et on sait qu’à 15 heures l’horloge indique 3 ; au fond, parce que 15 = 12 + 3 = 0 + 3 = 3. Et puis, 11 = − 1… puisque 11 + 1 = 0, pardi. Si un événement commence lorsque l’horloge indique 4, et se prolonge consécutivement 3 fois pendant 11 heures, quelle heure indiquera l’horloge à la fin ? Réponse : 4 + (3 × 11) = 4 + (3 × − 1) = 4 − 3 = 1. L’horloge indiquera 1. Nous venons de faire des « calculs modulo 12 ». C’est le monde des congruences, outil de base de l’algèbre moderne… et du codage des transmissions numériques.

Astronome réputé et physicien de premier plan

C’est aussi en théoricien des nombres qu’il résolut, à 19 ans, une question venant de l’Antiquité grecque : quels sont les polygones réguliers (tels qu’un triangle équilatéral, un carré, un pentagone régulier, etc.) qui peuvent être construits avec une règle, un compas et un crayon ? Eh bien, il démontra entre autres que, pour un nombre de côtés égal à un « petit » nombre premier, ce n’est possible que pour les nombres 3, 5, 17 et 257. Le monde est ainsi fait, et Gauss et les mathématiques ont contribué à sa connaissance, parfois surprenante.

Ses talents de mathématicien firent de lui un astronome réputé. La plus petite planète naine du système solaire,Cérès, avait disparu. Introuvable. Gauss, à 25 ans, réussit à déterminer son orbite à l’aide de quelques données, et surtout des mathématiques. Il prédit où la trouver. Et en effet, on la retrouva à cet endroit.

Il fut aussi un physicien de premier plan, en particulier dans le domaine de l’électromagnétisme. Bref, s’il faut lister les « génies », il en est. Il fut un homme aussi, avec ses malheurs et ses grandeurs.

Profondément amoureux de sa première femme, il ne se remit guère de son décès prématuré et souffrit, semble-t-il, de dépression chronique. Mathématicien solitaire, il n’aima guère enseigner. Mais il forma des étudiants qui allaient aussi devenir des « princes », tel Bernhard Riemann, auteur de ce qui est sans doute la plus importante des conjectures mathématiques, « l’hypothèse de Riemann ».

La mathématicienne Sophie Germain, sa contemporaine, se cachait pour faire des mathématiques sous le nom mas­culin d’Antoine Auguste Le Blanc (impensable à l’époque qu’une femme fut mathématicienne !). Elle correspondit avec Gauss sous ce nom. Les troupes de Napoléon occupèrent Brunswick, où habitait Gauss. Craignant pour sa vie, Sophie Germain demanda à un général français de le protéger, et c’est ainsi que Gauss apprit qu’Antoine était Sophie. Il lui écrivit alors : « Lorsqu’une personne de ce sexe qui, par nos mœurs et nos préjugés, doit rencontrer infiniment plus d’obstacles et de difficultés que les hommes à se familiariser avec ces recherches épineuses, sait néanmoins franchir ces entraves et pénétrer ce qu’elles ont de plus caché, il faut sans doute qu’elle ait le plus noble courage, des talents tout à fait extraordinaires, le génie supérieur. » Génie, et homme de bien.