Stéphane Kipré : « Notre marche est une réponse au refus de dialoguer d’Alassane Ouattara »
Stéphane Kipré : « Notre marche est une réponse au refus de dialoguer d’Alassane Ouattara »
Propos recueillis par Haby Niakaté (Abidjan, correspondance)
L’opposant ivoirien appelle à manifester contre l’organisation des premières élections sénatoriales, prévues le 24 mars.
Stéphane Kipré, le président de l’Union des nouvelles générations (UNG), à Abidjan, en novembre 2008. / KAMBOU SIA / AFP
En Côte d’Ivoire, l’Union des nouvelles générations (UNG), le parti que dirige Stéphane Kipré, fait partie de la coalition d’opposition Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS), qui appelle à une marche, jeudi 22 mars, pour protester contre l’organisation des premières élections sénatoriales deux jours plus tard. Une coalition à laquelle appartient également la tendance la plus radicale du Front populaire ivoirien (FPI), de l’ex-président Laurent Gbagbo.
À bientôt 38 ans, Stéphane Kipré, homme d’affaires, politicien et gendre de M. Gbagbo, vit en exil en France depuis la fin de la crise postélectorale de 2010-2011. Alors que le pouvoir ivoirien l’accuse d’avoir commandité de récentes attaques, il explique au Monde Afrique les motivations de cette protestation et les positions de son parti pour les prochaines échéances électorales.
Pourquoi organiser une marche deux jours avant les élections sénatoriales ?
Stéphane Kipré Certaines questions, telles que la réforme de la Commission électorale indépendante (CEI) et la révision de la liste électorale, méritent d’être débattues. Malheureusement, lorsque nous demandons au pouvoir en place de s’asseoir pour discuter, afin qu’ensemble nous puissions trouver des solutions, il refuse. Il est donc important pour nous d’utiliser tous les moyens démocratiques et pacifiques en notre possession pour faire entendre notre voix. Cette marche pacifique, c’est une réponse au refus de dialoguer du président Alassane Ouattara.
Que reprochez-vous à la CEI ?
Cette CEI est forclose. Et les Ivoiriens doivent se tenir loin de toutes les élections que celle-ci organisera, car elles ne seront pas démocratiques. Il y a d’abord le cas du président de la CEI, Youssouf Bakayoko, en place depuis plus de six ans alors que la loi l’interdit formellement et qui, comme chacun sait, est à la base de la crise de 2010 [M. Bakayoko est celui qui avait annoncé les résultats proclamant M. Ouattara vainqueur de la présidentielle]. Il y a ensuite la composition même de cette commission, où l’opposition est sous-représentée.
Que le pouvoir actuel écoute enfin son peuple, même s’il est vrai que cela peut s’avérer compliqué pour lui puisqu’il n’a pas été mis en place par le peuple. Toutefois, lorsqu’il y a eu des mutineries l’année dernière, ce même pouvoir s’est assis pour discuter avec les mutins et a décaissé rapidement des fonds pour régler le problème. Pourquoi n’adopte-t-il pas la même attitude lorsqu’il s’agit de revendications démocratiques de l’opposition ou des syndicats ?
Que pensez-vous de l’idée de doter la Côte d’Ivoire d’un Sénat ?
Un Sénat n’est pas nécessaire. Dans le contexte actuel, le pays n’en a pas besoin. Comment comprendre que l’on préfère dépenser plusieurs milliards de francs CFA pour la mise en place de cette institution alors que le coût de la vie des Ivoiriens ne fait qu’augmenter ?
Vous demandez un dialogue plus inclusif. Pourtant, depuis 2011, votre parti n’a participé à aucun scrutin. N’est-ce pas contradictoire ?
Quand on participe à une élection alors qu’on voit que l’organisateur, ici la CEI, a un parti pris et que la liste électorale est problématique, on entérine les conditions dans laquelle cette élection est organisée et on accompagne donc le pouvoir dans cette dérive. Le rôle de l’UNG n’est pas d’accompagner le pouvoir actuel.
Vous avez bientôt 38 ans. Faites-vous partie de ces politiques ivoiriens qui souhaitent l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle génération en 2020 ?
Je ne suis pas dans ce débat-là. La question essentielle aujourd’hui est : que préparons-nous pour la Côte d’Ivoire ? Quelle que soit la génération qui prendra le pouvoir en 2020, plus jeune ou non, celle-ci ne pourra réellement exercer son pouvoir que si les Ivoiriens sont réconciliés.
Comment jugez-vous le bilan d’Alassane Ouattara après sept ans au pouvoir ?
Le positif, c’est que M. Ouattara a respecté la continuité de l’Etat. Il a terminé tous les projets que ces prédécesseurs avaient engagés. Le troisième pont d’Abidjan a démarré sous la présidence Bédié, le barrage de Soubré, le pont de Jacqueville, le CHU d’Angré sous celle de Laurent Gbagbo.
Malheureusement, nous attendons encore le résultat de son propre travail. En dehors, évidemment, de l’accroissement de l’endettement de l’Etat, des grèves des producteurs de café-cacao, du paiement des mutins. Sa seule chance de laisser une marque positive aujourd’hui est d’organiser des élections crédibles en 2020, auxquelles il ne participera pas. On pourra au moins dire, à ce moment-là, qu’il aura su passer la main démocratiquement.
En septembre, vous avez été accusé par l’Etat d’être l’un des instigateurs d’attaques contre des gendarmeries et des commissariats. Où en est ce dossier ?
Je me pose aussi la question. Le disque qui consiste à accuser les opposants de tout et n’importe quoi lorsqu’on est acculé par des difficultés économiques, sociales et sécuritaires, est rayé. Les Ivoiriens sont fatigués de ce jeu et veulent parler de l’essentiel. De mon côté, je n’ai rien à me reprocher, je suis serein et j’attends.