Nadia Savtchenko, le 22 mars à Kiev. / VALENTYN OGIRENKO / REUTERS

La chute est brutale pour celle qui fut élevée au rang d’héroïne nationale dans son pays, l’Ukraine. Jeudi 22 mars, la députée Nadia Savtchenko, célèbre pour avoir été emprisonnée durant deux années en Russie, a été arrêtée en plein Parlement par les services de sécurité ukrainiens, avant d’être conduite en prison, ukrainienne celle-là.

Quelques minutes auparavant, les députés avaient voté en faveur de la levée de l’immunité parlementaire de l’ancienne pilote militaire, accusée d’avoir préparé « un attentat terroriste de grande échelle » et planifié « l’assassinat des dirigeants du pays ». Dans la foulée, un officier du SBU, les services de sécurité, s’est présenté dans l’enceinte de la Rada inpour lire à Mme Savtchenko les charges retenues contre elle. Gardant son éternel air de défi, la jeune femme de 36 ans a été conduite hors du bâtiment.

La scène est aussi spectaculaire que les accusations portées contre cette personnalité hors du commun. Le procureur général d’Ukraine, Iouri Loutsenko, les avait détaillées le 16 mars : selon lui, le plan de Nadia Savtchenko prévoyait de « détruire à l’aide de grenades » la loge du gouvernement au Parlement, d’« abattre la coupole de l’hémicycle par des tirs de mortiers », puis d’« achever les survivants à la mitraillette ». Le plan aurait également consisté à tuer des civils pour « créer le chaos ».

Scepticisme

Ces accusations avaient suscité un certain scepticisme, le parquet général étant réputé proche du pouvoir, voire prompt à utiliser la justice à des fins politiques. Jeudi, des écoutes téléphoniques et des vidéos tournées en caméra cachée ont été diffusées aux députés. On y voit une personne ressemblant à Nadia Savtchenko discuter d’approvisionnement en armes et des modalités d’une attaque contre le quartier gouvernemental. « Je propose un coup d’Etat, dit cette personne. Il faut les liquider physiquement. Tous et en un seul moment. »

Son complice serait le général Volodymyr Ruban, une autre figure de la vie publique ukrainienne, célèbre pour ses médiations avec les séparatistes du Donbass pour obtenir la libération de prisonniers ukrainiens. Selon Iouri Loutsenko, le parti politique de l’homme d’affaires Viktor Medvedtchouk, le Choix ukrainien, serait également partie au complot. L’homme, qui n’est pas cité nommément, est un proche du président russe Vladimir Poutine (celui-ci est le parrain de sa fille) et l’un des négociateurs ukrainiens dans les différentes discussions menées avec Moscou.

Une icône en Ukraine

Depuis l’éclatement de l’affaire, Nadia Savtchenko entretient elle-même une certaine ambiguïté. Jeudi, elle a affirmé qu’elle avait simplement « joué le jeu » auprès d’agents provocateurs envoyés pour la discréditer, dans le but de les dénoncer ensuite publiquement. Son objectif aurait été de « ridiculiser les autorités », a-t-elle affirmé mardi dernier à des journalistes. Mais à l’issue d’une audition par le SBU, la semaine passée, elle avait publiquement mis en garde dans une déclaration publique contre le fait que « beaucoup de militaires (…) sont d’accord avec l’idée d’un coup d’Etat en Ukraine ».

L’arrestation de Mme Savtchenko constitue une nouvelle étape dans la déchéance de celle qui fut érigée au rang d’icône dans son pays. Première femme pilote de l’armée ukrainienne, engagée volontaire en 2014 dans le Donbass, la jeune femme était apparue sur le devant de la scène en juin de cette même année, après sa capture par les séparatistes prorusses. Transférée en Russie, elle s’était vue accusée, sur la foi de preuves douteuses, d’être responsable de la mort de deux journalistes russes tués par un tir de mortier dans le Donbass.

Remarques antisémites

Sa hargne à se défendre, son patriotisme chevillé au corps et son éloquence face aux juges russes en avaient fait une héroïne, le parti de l’ancienne première ministre Ioulia Timochenko allant jusqu’à la faire élire députée en son absence. Condamnée à vingt-deux ans de prison, elle avait finalement été libérée au bout de deux ans, en 2016, à la faveur d’un échange de prisonniers. Elle avait alors décidé de se consacrer pleinement à la politique.

Mais son inexpérience évidente et ses envolées radicales ou populistes avaient rapidement déçu. La jeune femme s’était aussi attiré les foudres des franges nationalistes de l’opinion en prenant des positions jugées trop tendres envers les chefs séparatistes de Donetsk et de Louhansk, avec lesquels elle négociait directement des libérations de prisonniers ukrainiens. Elle s’était aussi fait critiquer pour des remarques antisémites, et avait été exclue de la fraction parlementaire de Ioulia Timochenko.