Analyse. La nature a mauvaise réputation. Ou du moins, elle n’a pas droit à une considération à la hauteur des services qu’elle rend. L’eau, par exemple, dont on célèbre la journée mondiale le 22 mars : qui mesure à quel point les écosystèmes sont capables de l’absorber, la filtrer, la stocker ? Peu de monde, mais l’ONU-eau – le programme mondial des Nations unies pour l’évaluation de la précieuse ressource – espère changer les regards des décideurs.

La pollution des rivières s’aggrave à une vitesse vertigineuse et alimenter certaines grandes villes tend à devenir une gageure

Son rapport mondial 2018 (lien vers PDF), consacré aux « Solutions fondées sur la nature pour la gestion de l’eau », vient d’être présenté au 8Forum mondial de l’eau, qui se tient jusqu’au 23 mars à Brasilia. A cette rencontre organisée tous les trois ans à l’initiative du Conseil mondial de l’eau étaient attendus une dizaine de chefs d’Etat, plus d’une centaine de ministres, parlementaires, maires de grandes villes et cinq fois plus de représentants des industriels du secteur ; plus une poignée d’ONG pour faire bonne mesure.

Potabilisation, dessalement, distribution, irrigation, barrages ou réservoirs : au Brésil, il aura beaucoup été question de financements – fatalement jugés insuffisants – d’un secteur où la demande explose. Or rapporte l’ONU-eau, sur les investissements colossaux pour l’eau et l’assainissement, le soutien aux solutions fondées sur la nature ne dépasse pas 1 % du total, en comptant très large. Et prévient qu’à ce rythme-là « la sécurité hydrique ne sera pas atteinte ». Impossible de s’en tenir au statu quo et de miser uniquement sur l’industrie et ses « solutions grises » – canalisations, usines de traitement, infrastructures artificielles –, quand la pollution des rivières s’aggrave à une vitesse vertigineuse et qu’alimenter certaines grandes villes tend à devenir une gageure.

« Eaux fossiles »

La consommation mondiale a été multipliée par six au cours des cent dernières années. Et 1,9 milliard de personnes souffrent déjà de pénuries d’eau. Les besoins devraient augmenter de 20 % à 30 % par an d’ici à 2050, respectivement 60 % et 80 % pour l’agriculture et la production d’énergie d’ici à 2025. Or un tiers des plus grands systèmes d’eau du sous-sol sont déjà en détresse, et les humains ont commencé à puiser les « eaux fossiles », ces réserves souterraines qui ne se renouvelleront pas.

A l’échelle mondiale, jusqu’à 40 % des précipitations viennent de l’évaporation des plantes attisée par le vent et d’autres processus du sol

S’agissant des réponses, l’ONU-eau recense des solutions « vertes » à base de reboisement, de restauration de paysages, de végétalisation des villes – du toit au trottoir. L’institution prône une agriculture de conservation capable de freiner l’érosion massive des sols, le retour urgent de zones humides – dont plus des deux tiers ont été effacés depuis 1900 –, de cours de rivières, la fin de l’étalement urbain. Elle vante les futures « villes-éponges » à la chinoise, les parkings qui laissent s’infiltrer la pluie, les toilettes sèches… Les pistes de réflexion ressemblent à un plaidoyer très écolo facile à résumer : rendons un peu de place à la nature à la surface de cette planète.

Les précipitations sont en effet largement liées à la nature des paysages qu’elles arrosent. La forêt, par exemple, consomme beaucoup d’eau, mais génère aussi elle-même de l’humidité. A l’échelle mondiale, jusqu’à 40 % des précipitations viennent de l’évaporation des plantes attisée par le vent et d’autres processus du sol, expliquent les experts.

Les rivières de New York choyées

Rendre à la nature encore, ne serait-ce que pour atténuer l’impact des vagues d’inondations et de sécheresses qui se multiplient, aiguisées par le changement climatique. Environ 30 % de la population mondiale réside dans des régions susceptibles d’être régulièrement touchées par ces catastrophes. Les dégâts occasionnés se chiffrent à plus de 40 milliards de dollars par an, sans compter les 46 milliards dus aux tempêtes.

Dans la gestion de l’eau, les solutions « vertes » sont réputées moins fiables, plus lentes à agir, moins tangibles aux yeux du public qu’une station d’épuration ou une digue contre les inondations, alors qu’elles ne sont que peu évaluées

Quant aux zones humides, naturelles ou aménagées, elles semblent capables d’éliminer 20 % à 60 % des métaux contenus dans des eaux usées, de retenir 80 % à 90 % des sédiments, de biodégrader une part des pesticides. Ces écosystèmes seraient même plus performants que certaines usines de traitement pour filtrer certains polluants émergents. Ces capacités laissent songeur lorsque l’on pense aux fortunes dépensées par exemple par les Etats européens pour essayer – en vain – de se conformer à la directive-cadre sur la qualité de l’eau qu’ils ont édictée.

Richard Connor, qui coordonne les rapports annuels de l’ONU-eau, prend souvent l’exemple de New York. « La ville investit dans trois bassins-versants en amont afin que les agriculteurs laissent des bandes arborées et enherbées le long des rivières, rapporte-t-il. Du coup, elle reçoit de l’eau d’excellente qualité et économise 30 millions de dollars par an. C’est rentable ! »

Le Pérou reconnaît dans la loi l’intérêt de recourir aux écosystèmes. Mais il reste bien seul. Dans la gestion de l’eau, les solutions « vertes » sont réputées moins fiables, plus lentes à agir, moins tangibles aux yeux du public qu’une station d’épuration ou une digue contre les inondations, alors qu’elles ne sont que peu évaluées. L’approche « naturelle » n’est d’ailleurs pas censée se substituer aux technologies « grises », mais les compléter. N’empêche, dans la balance, on serait tenté de faire peser, aussi, quelques autres bénéfices qu’apporte un environnement sain, comme la santé, le bien-être, la sécurité alimentaire…

Les solutions fondées sur la nature pour la gestion de l’eau : Richard Connor
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