La biodiversité africaine, patrimoine sous pressions
La biodiversité africaine, patrimoine sous pressions
Par Laurence Caramel
Dérèglement climatique, hausse démographique et course aux ressources menacent le continent, où les populations dépendent encore fortement de la nature.
« L’appauvrissement de la biodiversité en Afrique se répercute de plus en plus sur la vie quotidienne des populations et nuit au développement socio-économique » : le diagnostic établi par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) et rendu public vendredi 23 mars à Medellin, en Colombie, à l’occasion de sa sixième session plénière, décrit sans ambages le paradoxe du continent.
Il abrite encore une extraordinaire diversité biologique – c’est le dernier endroit sur Terre où vivent de nombreuses espèces de grands mammifères –, mais présente de très grands risques d’extinction des espèces et de dégradation des terres, du fait du dérèglement climatique, de la pression démographique et d’une course effrénée pour s’approprier les ressources.
Or dans aucune région du monde les hommes ne sont encore autant dépendants de la nature pour leur survie quotidienne. « Plus de 62 % de la population dépend directement des services [rendus par la nature] dans les zones rurales », rappellent les scientifiques qui ont rédigé le résumé 45 pages à l’intention des décideurs.
Préserver les savoirs autochtones
Créée en 2012 sous la tutelle des Nations unies et rassemblant 129 Etats, l’IPBES, que l’on qualifie souvent de « GIEC de la biodiversité », en référence au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, a pour mission d’éclairer les gouvernements en réalisant régulièrement la synthèse des connaissances scientifiques.
A Medellin ont été pour la première fois proposées des évaluations régionales pour quatre continents : Amérique, Asie, Europe et Afrique. Le rapport africain de 579 pages a été rédigé par une centaine d’experts, dont, il faut le souligner, les deux tiers sont issus du continent. « Nous avons appris des critiques adressées au GIEC sur le manque de représentation des pays du Sud dans les panels scientifiques », explique Agnès Hallosserie, secrétaire scientifique française pour l’IPBES.
Les scientifiques ont cependant dû se satisfaire d’une littérature lacunaire pour établir leur bulletin de santé de la biodiversité africaine. « Relativement peu d’études ont été publiées sur la valorisation des services écosystémiques », précise le rapport, et elles se concentrent sur l’Afrique australe et l’Afrique de l’Est. Mais le rapport s’appuie aussi sur les savoirs autochtones, auquel il accorde une grande importance, et fait de leur préservation l’une des clés pour maîtriser la dégradation de la nature et aller vers « une économie écologique à faible émission de carbone ». Les connaissances ancestrales des Masaï ou des Pygmées ont ainsi été examinées de près.
Dans une région où la population est appelée à doubler d’ici à 2050 pour atteindre 2,5 milliards d’âmes, les experts décrivent une compétition anarchique pour conquérir de nouveaux espaces et exploiter les ressources naturelles. Ils pointent la surpêche, l’expansion des cultures agricoles, l’appropriation de terres par des investisseurs étrangers, la déforestation, la multiplication des activités extractives : « On estime que 500 000 km2 de terres sont déjà dégradées du fait de leur surexploitation. » Sans compter l’urbanisation.
Hausse des températures plus rapide qu’ailleurs
L’impact du changement climatique permet à lui seul de mesurer l’ampleur du choc à venir : « Dans tous les pays d’Afrique, la hausse des températures devrait être plus rapide que la hausse mondiale. […] Les changements climatiques pourraient entraîner des pertes importantes d’espèces végétales, la disparition de plus de 50 % des espèces d’oiseaux et de mammifères et une baisse de 20 % à 30 % de la productivité des lacs. » La géographie et l’incidence des maladies auxquelles sont exposés les troupeaux risquent également de s’en trouver modifiées.
Pour préserver les espèces endémiques, dont nombre ont trouvé refuge dans des aires protégées, « il faudra peut-être repenser les réseaux aujourd’hui en place que forment les aires protégées », car elles ne coïncideront plus forcément avec les migrations de la faune. Ces aires protégées couvrent près de 15 % des terres du continent.
Pour fixer l’importance des enjeux, l’IPBES rappelle que la biodiversité africaine fait déjà l’objet de multiples initiatives de conservation : 369 zones humides sont classées d’importance internationale, 142 sites sont inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco, et 158 sites où se trouvent des espèces menacées d’extinction sont régis par l’Alliance for Zero Extinction.
Au milieu de ce sombre panorama, les scientifiques distinguent toutefois une raison d’espérer : « L’Afrique bénéficie d’empreintes écologique et carbone faibles par rapport à d’autres régions du monde. » Le compromis entre le développement économique et la préservation de la nature reste donc à écrire.