Mystère autour de la visite à Pékin d’un haut dignitaire nord-coréen
Mystère autour de la visite à Pékin d’un haut dignitaire nord-coréen
Par Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)
Le dirigeant Kim Jong-un pourrait avoir effectué sa première visite en Chine depuis son installation au pouvoir en 2011.
Des mesures exceptionnelles de sécurité ont été mises en place sur la place Tiananmen, à Pékin, le 27 mars 2018. / WANG ZHAO / AFP
Un mystérieux train vert aux vitres teintées noires est arrivé, lundi 26 mars dans l’après-midi, à Pékin en provenance de Pyongyang. Des palissades avaient été dressées dans la gare de la ville frontalière de Dandong, et des retards étaient annoncés sur de nombreux trains reliant le nord-est chinois à la capitale. Des mesures exceptionnelles de sécurité ont été prises autour du Grand Hall du peuple, sur la place Tiananmen, et un convoi officiel lourdement gardé a été aperçu en des lieux stratégiques.
Tout laisse à croire qu’un dignitaire nord-coréen de très haut rang est arrivé à Pékin. Possiblement le dirigeant Kim Jong-un en personne, qui effectuerait ainsi sa première visite à l’étranger depuis son arrivée au pouvoir, en 2011. L’agence Bloomberg l’annonce, en se fondant sur trois sources. Sans démentir, le ministère chinois des affaires étrangères s’est refusé, mardi, à en dire davantage, sa porte-parole, Hua Chunying, se contentant d’indiquer que des informations à ce sujet seraient rendues publiques « en temps voulu ». Selon l’agence japonaise Kyodo, le train spécial nord-coréen devait repartir mardi après-midi.
Moment décisif
Le père de Kim Jong-un, Kim Jong-il, connu pour sa phobie de l’avion, avait déjà l’habitude de mener en train, et sans annonce officielle préalable, ses tournées auprès de ses deux grands voisins, la Chine et la Russie. Pékin confirmait la visite quand celle-ci arrivait à sa fin. Et comme lui, notent les observateurs, Kim Jong-un aurait ainsi attendu de consolider son pouvoir pendant plusieurs années pour sortir des frontières du pays ermite.
Les photos volées du convoi officiel – escorte de motards, limousines noires, ambulance – qui ont circulé sur les réseaux sociaux laissent penser que ce visiteur a gagné, lundi soir, la résidence officielle des dignitaires étrangers en visite en Chine, le Diaoyutai. Il faut noter également que les officiels nord-coréens en visite en Chine, à l’exception du dirigeant suprême du pays, s’y rendent par avion.
A Washington, la Maison Blanche s’est dite incapable de confirmer si Kim Jong-un se trouvait ou non toujours à Pyongyang. Et le gouvernement sud-coréen, généralement bien informé sur la situation au Nord, a dit simplement « suivre la situation de près ». Cette visite surprise, si elle se confirmait, intervient à un moment décisif dans le processus de désescalade entre la Corée du Nord, les Etats-Unis et la Corée du Sud, amorcé par l’invitation de Pyongyang à l’occasion des Jeux olympiques de Pyeongchang, en Corée du Sud, en février.
Il s’agirait d’abord pour Pyongyang de reprendre langue avec son ancien allié et protecteur chinois – en vue peut-être d’obtenir de Pékin des garanties sur sa sécurité future et son développement économique en cas d’allégement des sanctions. Et pour la Chine, de s’assurer qu’elle n’est pas écartée des discussions qui s’annoncent.
à tout prix de l’arme nucléaire
« La Corée du Nord est, de nouveau, en train de tenter de jouer la Chine et les Etats-Unis l’un contre l’autre en se présentant comme un pivot qui aurait la liberté de choisir avec qui travailler. C’est une stratégie éculée, qui date du temps où le grand-père de Kim Jong-un, Kim Il-sung, jouait Pékin contre Moscou », estime Yun Sun, chercheuse au Stimson Center à Washington, jointe par courriel. « La Chine n’est que trop heureuse de renouer avec la Corée du Nord à un moment où Pékin se sent marginalisé et souhaite ardemment reprendre place à la table des négociations », poursuit-elle.
La Chine est en froid avec son voisin nord-coréen du fait de la poursuite par Kim Jong-un d’une stratégie de développement à tout prix de l’arme nucléaire. Quatre essais nucléaires souterrains ont été menés par Pyongyang entre 2013 et 2017 ainsi qu’une multitude de tirs balistiques, en violation des résolutions des Nations unies. Pékin, qui dispose d’un droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU, a non seulement approuvé ces résolutions mais s’est retrouvé en première ligne pour appliquer les sanctions qui en découlaient – certes avec un zèle variable, mais suffisamment pour conduire à une grave détérioration de leurs relations de pays frères.
« Les fondamentaux de la relation bilatérale au cours des dernières décennies ont changé du tout au tout. Du point de vue de Pyongyang, la Chine a trahi son proche allié. La perception des Nord-Coréens est qu’ils aident la Chine à se défendre contre les menaces américaines envers sa sécurité. La Chine devrait selon eux être reconnaissante à la Corée du Nord, et non l’inverse », expliquait lors d’une récente conférence le professeur Zhao Tong, spécialiste des politiques d’armement nucléaire au Centre Carnegie-Tsinghua à Pékin.