Au Next Einstein Forum, la science africaine en pleine effervescence
Au Next Einstein Forum, la science africaine en pleine effervescence
Par Laurence Caramel (Kigali, envoyée spéciale)
Le rendez-vous rassemble tous les deux ans les chercheurs les plus brillants du continent, à l’origine d’innovations prometteuses.
Fallait-il en appeler à Albert Einstein ou à une figure africaine, par exemple la Kényane Wangari Maathai, biologiste et prix Nobel de la paix, pour attirer les plus brillants scientifiques du continent ? Deux ans après le lancement du Next Einstein Forum (NEF) à Dakar, la question fait toujours débat. Mais elle n’altère pas le bouillonnement de cette communauté naissante qui tenait, du lundi 26 au mercredi 28 mars à Kigali, son deuxième rassemblement.
Après tout, tous en conviennent, nul ne peut rivaliser avec la notoriété mondiale de l’auteur de la théorie de la relativité générale pour donner de la visibilité à leur cause. « Nous voulons que le NEF éclaire l’apport de l’Afrique à la science et montrer que ses chercheurs sont au cœur des solutions pour la transformation du continent », revendique le Béninois Thierry Zomahoun, cofondateur du NEF et président de l’Institut africain pour les sciences mathématiques (AIMS), à l’origine du projet avec la fondation allemande Robert-Bosch.
Un système d’irrigation intelligent
L’affiche de la deuxième promotion des 20 lauréats du NEF parle d’elle-même. Sélectionnés par un comité scientifique international composé de 70 experts, ils ont moins de 42 ans, ont suivi des parcours d’excellence, sont bardés de diplômes des meilleures universités – le plus souvent américaines – mais ont aussi fait, en majorité, le choix de revenir travailler en Afrique. Ce qui, lorsqu’il est question de science, signifie dans bien des cas en Afrique du Sud, où les conditions de recherche sont comparables à celles des grands laboratoires internationaux. Enfin, ils ont pour point commun d’avoir investi les domaines où s’écrivent l’innovation technologique et l’économie de demain.
Le chimiste nigérian Peter Ngene, professeur à l’université d’Utrecht (Pays-Bas), développe de nouveaux matériaux pour stocker les énergies renouvelables. La généticienne sud-africaine Vinet Coetzee, maîtresse de conférence à l’université de Pretoria, élabore des méthodes bon marché pour diagnostiquer des insuffisances alimentaires chez les enfants ou des malformations congénitales. Son équipe a mis au point un appareil photographique en 3D qui permet d’identifier les caractéristiques faciales liées à la trisomie 21 chez les nourrissons africains.
L’informaticien malien Hamidou Tembine dirige le laboratoire d’apprentissage et de théorie des jeux de l’université de New York. Il travaille sur la prise de décision stratégique dans les réseaux informatiques et les systèmes de transport. La Nigérienne Aminata Garba, professeure en génie électrique et informatique à l’université Carnegie Mellon Africa, à Kigali, teste un système d’irrigation intelligent à bas coût pour les agriculteurs africains…
« Cessons de courir derrière les autres »
Dans le paysage mondial de la recherche scientifique, où l’Afrique compte à peine pour 2 % des publications produites chaque année, le NEF permet à cette minorité invisible de se découvrir et de se compter.
« Je me suis souvent senti isolé et là, subitement, je me retrouve avec des personnes qui ont vécu la même expérience que moi. Cela nous rend d’emblée très proches », raconte Jonathan Mboyo Esole, lauréat de l’édition 2018, qui dédie sa distinction à tous les Congolais, comme « un message d’espoir et de fierté dans un moment de grandes difficultés ». Il a quitté Kinshasa en 1997 pour se former tour à tour à l’Université libre de Bruxelles, à Cambridge (Royaume-Uni), à l’université de Leyde (Pays-Bas) et à Stanford (Etats-Unis) avant de devenir professeur assistant à Harvard puis au département de mathématiques de l’université Northeastern, à Boston, où il mène des travaux sur la géométrie de la théorie des cordes.
Membre de la première promotion, la Kényane Evelyn Gitau, spécialiste en santé, n’hésite pas lorsqu’il s’agit de dresser le bilan du NEF : « Le forum m’a apporté un réseau ouvert sur d’autres disciplines. Nous ne devons plus rester enfermés dans nos spécialités pour trouver des solutions. » Au pays de M-Pesa, pionnier du transfert d’argent sur téléphone mobile, cette nécessité est une évidence : « La technologie venait d’Angleterre, mais nous l’avons adaptée à nos propres besoins. Nous devons cesser de courir derrière les autres pour les rattraper et produire notre propre connaissance. »
Revue multidisciplinaire
Avec 34 lauréats depuis 2016, la communauté scientifique propulsée par le NEF est encore de taille modeste, mais elle peut compter sur les 52 ambassadeurs déployés dans presque tous les pays du continent pour valoriser l’image des sciences et leur importance pour le développement. Ces ambassadeurs sont également nommés pour deux ans. « Ce ne sont pas forcément d’éminents scientifiques, mais ils ont montré leur engagement dans des initiatives citoyennes », précise Youssef Travaly, vice-président du NEF. Chacun devra organiser une « semaine de la science » pour encourager les jeunes. Comme les lauréats, ils ne perçoivent aucune bourse.
Le travail de pédagogie se veut aussi à l’adresse des dirigeants africains. Seul chef d’Etat étranger présent à Kigali, le président sénégalais, Macky Sall, a rappelé que « si l’Afrique ne voulait pas rater le train de la révolution numérique après être passée à côté de la révolution industrielle, elle devait investir massivement dans la science et dans l’économie de la connaissance ». De son côté, le Rwandais Paul Kagamé a rappelé que son pays – qui héberge le siège du NEF – avait misé dès le début des années 2000 dans les technologies de l’information et la communication (TIC). « Notre pays était détruit [après le génocide de 1994]. Certains se sont interrogés sur ce choix, mais il était évident que la réalisation de nos priorités en matière de santé, d’éducation, ne pouvait se faire en ignorant cet apport. »
La prochaine rencontre du NEF aura lieu en 2020 à Nairobi. D’ici là, les scientifiques africains auront la possibilité de publier les résultats de leurs recherches dans une nouvelle revue, Scientific African, éditée par le groupe néerlandais Elsevier. Elle sera multidisciplinaire, 100 % en accès libre. Ses articles seront « révisés par des pairs » et « elle n’acceptera que le premier choix », a promis Thierry Zomahoun. Le premier numéro de cette vitrine de la science africaine est attendu à l’automne.