Tout comprendre de la mobilisation dans les universités
Tout comprendre de la mobilisation dans les universités
Par Claire Ané
Le point sur les revendications des étudiants et personnels, les raisons du récent durcissement, l’ampleur du mouvement et les suites à en attendre.
Manifestation du collectif d'étudiant « Paul-Va, Lève toi » devant la faculté de droit de Montpellier, le 26 mars, pour demander que justice soit faite après l’évacuation violente d’étudiants par des hommes cagoulés. / NANDA GONZAGUE POUR "LE MONDE"
Blocus, suspension des cours, manifestations… Une dizaine de campus de toute la France ont connu des perturbations ces derniers jours, principalement à Montpellier et Toulouse, mais aussi à Paris-I Panthéon Sorbonne (site de Tolbiac), Bordeaux, Nantes, Rouen, Lille, Strasbourg, Nancy.
Quelles sont les revendications ?
Les étudiants et personnels mobilisés demandent au gouvernement d’abandonner sa réforme de l’accès aux études supérieures, mise en œuvre par la loi Orientation et réussite des étudiants promulguée début mars, et Parcoursup, la plate-forme qui succéde cette année au système APB (Admission post-bac) pour faire ses vœux d’orientation. Ils s’inquiètent des prérequis, adaptables localement, instaurés à l’entrée de l’ensemble des filières du supérieur, licences d’universités comprises, y voyant une sélection qui ne dit pas son nom.
A Toulouse-Jean-Jaurès (ex-Le Mirail), la plus touchée sur la durée, le mouvement s’oppose aussi, depuis décembre, au projet de fusion avec une autre université et deux écoles d’ingénieurs de la ville.
Ces dernières semaines, des AG, manifestations et communiqués de différents collectifs étudiants ont également dénoncé la casse du service public, des violences de la part de l’extrême droite, à Montpellier et Lille notamment, ou encore des interventions policières « disproportionnées et inappropriées », comme à Bordeaux, Strasbourg, ainsi qu’à Grenoble-Alpes.
Pourquoi le mouvement se durcit-il ?
De premiers frémissements contre la réforme se sont fait sentir en décembre et janvier, du côté des enseignants-chercheurs appelés à définir les critères de classement des candidats à l’entrée en licence, avec le vote de motions refusant d’appliquer ces nouvelles règles. Des journées de mobilisation nationale contre la réforme ont ensuite été organisées, les 1er, 6 et 15 février, à l’appel notamment du premier syndicat de personnels de l’enseignement supérieur, le Snesup, du second syndicat étudiant, l’UNEF, et de deux syndicats lycéens, l’UNL et le SGL. Mais même quand le premier syndicat de professeurs du secondaire s’y est associé, pour dénoncer également le projet de réforme du bac, les manifestants n’ont pas dépassé, selon les chiffres des préfectures, 3 000 à Paris et 800 à Lyon et Toulouse.
La soirée qui a suivi la journée de mobilisation pour la défense du service public, le 22 mars, à laquelle les étudiants s’étaient associés, a marqué une nouvelle étape : à Montpellier, une cinquantaine d’étudiants hostiles à la loi sur l’accès aux études supérieures, qui occupaient le grand amphithéâtre de la faculté de droit, en ont été violemment délogés par un groupe d’une dizaine d’hommes cagoulés et armés de bâtons, en présence de personnels chargés de la sécurité de l’université. Huit plaintes pour violences ont été déposées. Le doyen de la faculté de droit, Philippe Pétel, qui a démissionné au lendemain des événéments, et plusieurs enseignants et personnels de sécurité ont été mis en cause par les étudiants. Les nombreuses vidéos de l’évacuation et les quelques jours de délai avant que la justice n’annonce la mise en examen de l’ex-doyen et d’un professeur ont suscité colère et tensions, à Montpellier et ailleurs.
Quelle est l’ampleur du mouvement ?
Sur un total de soixante-dix universités, une dizaine sont touchées, principalement dans les disciplines de sciences humaines et sociales, traditionnellement plus promptes à se mobiliser. Les défenseurs du mouvement, tels l’UNEF et le Snesup, estiment qu’il est en train de monter, tandis que d’autres parlent d’« initiatives très localisées », tel François Germinet, vice-président de la Conférence des présidents d’université. « Il n’y a pas de mouvement d’ampleur nationale », a-t-il déclaré au Figaro.
Si l’amplitude de la contestation fait débat, l’intensité, elle, est élevée – la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a d’ailleurs appelé à « l’apaisement » jeudi. A Montpellier, 1 500 à 3 000 étudiants ont participé à l’AG de mardi, votant en faveur d’une « occupation active illimitée » de l’université Paul-Valéry, tandis que la faculté de droit a été fermée jusqu’au 3 avril. A Toulouse-Jean-Jaurès, où la mobilisation et la grève contre la fusion a débuté en décembre, les cours sont totalement arrêtés depuis le 6 mars. A l’université de Bordeaux, le site de la Victoire a été fermé la semaine suivante.
A Paris-I-Panthéon-Sorbonne, le site de Tolbiac est bloqué depuis lundi. Les élections étudiantes prévues mercredi et jeudi dans toute l’université ont été annulées. Le saccage du local de l’Union des étudiants juifs de France, dont les murs ont été recouverts d’inscriptions antisémites, à Tolbiac, et les agressions par des groupuscules d’extrême droite qui ont eu lieu à Lille, lundi, et à Strabourg dans la nuit de mercredi à jeudi, ont fait fortement réagir, y compris via des manifestations.
A quelles suites s’attendre ?
Franck Loureiro (Sgen-CFDT, syndicat d’enseignants du supérieur partisan de la réforme), juge le mouvement « imprévisible ». Une mobilisation des lycéens, premiers concernés par la réforme de l’accès aux études supérieures, n’a jusqu’ici jamais décollé. Plusieurs assemblées générales étudiantes ont décidé de participer à la journée de grève des cheminots, mardi 3 avril. A Montpellier a ainsi été voté un « blocage économique de la ville » ce jour-là.
Une « convergence des luttes », distincte de la Coordination nationale étudiante où l’UNEF est très représentée, prévoyait de se réunir samedi 31 mars et dimanche 1er avril sur le campus occupé de la Victoire, à Bordeaux. A Nantes, les étudiants ont largement levé le blocus, des manifestations sont prévues chaque samedi à compter du 7 avril. Les semaines de révisions approchent, suivies des partiels, déjà au cœur des débats dans plusieurs universités. A Nancy, des examens prévus durant la semaine écoulée ont dû être reportés du fait du mouvement. Le président de l’Université Montpellier-III-Paul Valéry, malgré le « blocage illimité » voté, a de son côté assuré qu’ils seraient maintenus, et porteront sur les enseignements qui auront été dispensés.