Pour Emmanuel Macron, l’intelligence artificielle est aussi « une révolution politique »
Pour Emmanuel Macron, l’intelligence artificielle est aussi « une révolution politique »
Après Barack Obama, le président français a donné un long entretien au magazine américain « Wired », spécialisé dans les technologies, au sujet de l’intelligence artificielle.
Emmanuel Macron a dévoilé jeudi 29 mars sa stratégie pour développer le secteur de l’intelligence artificielle en France, lors d’un discours au Collège de France. / Etienne Laurent / AP
Un chef d’Etat dans les colonnes de Wired : cela n’arrive pas souvent, le magazine américain, spécialisé dans les nouvelles technologies, étant plutôt habitué à recevoir en tête d’affiche des figures du secteur comme Mark Zukerberg ou Elon Musk. Pourtant, le président de la République français a choisi de s’exprimer dans ses colonnes au sujet de l’intelligence artificielle (IA), en lui accordant un long entretien, publié samedi 31 mars, deux jours après avoir dévoilé la stratégie de la France en la matière.
Un choix qui ne relève bien sûr pas du hasard : il adresse ainsi un message fort à la communauté tech mondiale — pour qui Wired est une référence — et se place, au passage, dans les pas de Barack Obama, qui avait accordé au titre une interview sur le même sujet en novembre 2016.
« Boîte de Pandore »
« Cette énorme révolution technologique est en fait une révolution politique, y déclare Emmanuel Macron. L’IA va soulever beaucoup de questions éthiques, politiques, elle va questionner notre démocratie et nos choix collectifs. » Le président français donne l’exemple de la santé, qui peut tirer, souligne-t-il, d’immenses bénéfices du développement de l’IA et de l’accès aux données. Mais pas seulement :
« Nous allons ouvrir nos données en France. […] Mais le jour où vous ouvrez ces données et dévoilez des informations personnelles, vous ouvrez une boîte de Pandore, avec des utilisations potentielles qui ne profiteront pas au bien commun. »
Il évoque, par exemple, la façon dont ces informations pourraient être vendues à des assureurs qui « pourraient en tirer beaucoup d’argent ». « Cela pourrait totalement démanteler notre cohésion nationale et la façon dont nous vivons ensemble. »
Pour cela, il martèle, comme il l’avait déjà fait jeudi, lors de son discours au Collège de France, que « ce qui doit nous guider n’est pas seulement le progrès technologique, mais le progrès humain ».
« Je pense que l’Europe est l’endroit où nous serons capables de faire des choix collectifs et de les accorder avec des valeurs universelles. L’Europe est le lieu où l’ADN de la démocratie a été façonné. »
Instaurer la confiance envers l’IA
Emmanuel Macron, qui veut faire émerger en France des champions de l’IA pour faire face aux géants du numérique américains et chinois, a rappelé qu’il ne voulait pas « simplement être sujet à cette disruption sans créer des emplois dans ce pays ».
« Si vous ne voulez pas bloquer l’innovation, il vaut mieux l’encadrer dès le début avec des lignes éthiques et philosophiques. Et je crois que nous sommes très bien équipés pour le faire, en plus de développer le business dans mon pays. »
Mais pour y parvenir, a répété le président français, encore faut-il instaurer un climat de confiance mutuelle « entre les chercheurs, les acteurs privés, les start-up et les citoyens ». « Si la première catégorie a confiance dans le fait que ce pays puisse être un écosystème pertinent pour elle, et qu’en même temps, je parviens à instaurer la confiance de mes citoyens envers l’IA, j’aurais réussi. » Emmanuel Macron cite l’exemple de Parcoursup, la plate-forme d’admission post-bac qui a succédé au très controversé APB :
« Nous utilisons l’intelligence artificielle pour organiser l’accès à l’université de nos étudiants. Cela confère beaucoup de responsabilités à un algorithme. Beaucoup de gens voient ça comme une boîte noire, ils ne comprennent pas comment le processus de sélection de l’étudiant se déroule. […] Si vous voulez, précisément, structurer ce débat, vous devez créer les conditions pour que cet algorithme soit juste et transparent. »
Le président français a annoncé jeudi qu’il comptait rendre accessibles la plupart des algorithmes utilisés par les services publics, à commencer par Parcoursup. « Si vous ne vous en occupez pas dès le départ, si vous ne considérez pas [la confiance] comme aussi importante que développer l’innovation, vous loupez quelque chose et à un moment donné, ça bloquera tout. Car les gens finiront par rejeter cette innovation. »
« Complètement contre » les armes autonomes
Emmanuel Macron a aussi donné son point de vue sur les armes autonomes, un sujet qu’il n’avait pas abordé lors de son discours jeudi au Collège de France, et sur lequel le député Cédric Villani, auteur d’un rapport sur l’IA rendu mercredi au gouvernement, était resté très évasif. « Pensez-vous qu’on pourra un jour faire confiance aux machines intelligentes pour prendre la décision de tuer sans intervention humaine ? », lui a demandé le journaliste de Wired. « Je suis complètement contre », a répondu sans détour Emmanuel Macron.
« Vous aurez toujours besoin d’une vérification humaine. […] A un moment donné, la machine pourra tout préparer, réduire les incertitudes jusqu’à les supprimer, et c’est une amélioration impossible autrement, mais à un moment donné, la décision d’agir ou de ne pas agir doit être une décision humaine, car il faut que quelqu’un en prenne la responsabilité. »
Une réponse relativement proche de celle qu’il a donnée à Wired, qui l’interrogeait sur l’usage de ces technologies en politique. « Pensez-vous qu’un jour vous prendrez des décisions fondées sur des algorithmes d’IA, avec un système qui vous dirait quelle réforme du travail vous devriez entreprendre ? », a demandé le journaliste. « Je pense que ça pourrait aider », lui a répondu Emmanuel Macron.
« L’IA peut vous aider parce que parfois, quand vous lancez une réforme, vous ne savez pas exactement quels seront les effets potentiels, directs ou indirects, et vous pouvez avoir des hésitations. Ça peut donc vous aider à prendre la bonne décision. »
Mais, poursuit le président, « quand vous prenez une décision politique, il faut une part de jugement personnel. C’est la qualité d’un décideur, et l’intelligence artificielle ne remplacera jamais cela. Et il y a une chose que l’IA ne remplacera jamais, c’est la responsabilité. »