Production d’orange en Italie. « Nul homme n’est une île », le nouveau documentaire de Dominique Marchais, sort le 4 avril. / METEORE FILMS

Le troisième long-métrage documentaire de Dominique Marchais (Le Temps des grâces, La Ligne de partage des eaux) s’ouvre sur une fresque murale d’Ambrogio Lorenzetti (XIVe siècle), dite « du Bon et du Mauvais Gouvernement », ornant les quatre pans d’une salle du palais communal de Sienne, en Italie. Sur les commentaires de l’historienne médiéviste Chiara Frugoni, la caméra balaie l’ouvrage, où sont exposés les principes régissant l’harmonie des cités humaines et, à l’opposé, ceux menant au déséquilibre et à la discorde, au-dessus desquels trône une allégorie du « bien commun ». Ouverture programmatique, en ce qu’elle établit le cap du film, en quête des formes contemporaines d’une reconquête du « bien commun », mais prenant surtout soin d’enraciner son questionnement politique dans une œuvre d’art, comme pour rappeler que l’une ne saurait aller sans l’autre.

Le film part ensuite, entre la Sicile et les Alpes, à la rencontre d’acteurs de terrain œuvrant à contre-courant des modèles économiques dominants (libre concurrence, course au profit) pour inventer des espaces d’entraide et de sauvegarde des territoires. Comme les agriculteurs de la coopérative Le Galline Felici (« les poules heureuses »), à Catane, en Sicile, qui réimplantent des circuits courts entre cultivateurs bio et points de vente, dégageant une juste rétribution pour les producteurs. Et, dans les Grisons, en Suisse, l’architecte et enseignant Gion Caminada, qui a contribué à freiner le dépeuplement du village de Vrin en réinvestissant les matériaux et les savoir-faire locaux dans l’habitat, garantissant la pérennité des filières artisanales.

Tisser une continuité de pensée

Vient enfin le cas étonnant du Vorarlberg, en Autriche occidentale, où l’usage étendu de la démocratie participative et certaines officines publiques innovantes (comme ce « bureau des questions du futur ») sont parvenus à intégrer un urbanisme moderne à la beauté des paysages montagneux.

A chaque fois, la « vertu » de l’initiative tient à une forme de recentrement sur de plus petites échelles, de plus petits circuits, que ceux du commerce mondialisé : il s’agit de jouer l’écologie contre l’économie, l’adéquation spécifique de l’homme et de son environnement contre la loi de l’offre et de la demande. Dominique Marchais recueille la parole des différents intervenants, non parce qu’ils seraient exemplaires ou représentatifs de quelque chose (le documentaire se reposant trop souvent sur de tels « cas »), mais pour tisser de l’un à l’autre une continuité de pensée, confronter leurs démarches, ouvrir le champ d’une réflexion commune. A ce titre, il n’oublie jamais de filmer ses interlocuteurs dans leur environnement, de les situer dans ces lieux qu’ils tentent, chacun à sa façon, de préserver de l’emprise du marché. Car l’enjeu de ces démarches ne réside pas en un simple « retour au village » ni ne consiste à générer de micro-économies locales. Cet enjeu n’est autre que la beauté menacée du monde que nous avons en partage.

Marchais filme les paysages parcourus et, à travers eux, l’expansion des zones commerciales, des autoroutes, la laideur et la normativité qu’elles implantent partout. Cette laideur trouve, par ailleurs, un cinglant démenti dans les bâtiments, à la fois humbles et élégants, qu’inventent les architectes des Grisons (Caminada et ses élèves) ou du Vorarlberg (Bernardo Bader). La mise en scène de Dominique Marchais consiste à mettre tous ces éléments « à plat », et il ne faudrait pas trop vite en conclure à une « platitude » de son cinéma. Si la beauté du monde est son seul sujet – car sujet d’inquiétude –, il ne se permet pas pour autant d’enchérir sur elle, pour mieux restituer les idées, les propos de chacun, la frontalité des lieux, dans toute leur clarté. Cette clarté de pensée qui est le gage de tout « bon gouvernement », y compris celui des images.

NUL HOMME N'EST UNE ÎLE Bande Annonce (2018)
Durée : 01:41

Documentaire français de Dominique Marchais (1 h 36). Sur le web : www.meteore-films.fr, www.facebook.com/meteorefilms