Une cantinière, un cantinier. Depuis l’année dernière, Steeve Lecoq, 26 ans, assure le service du midi à l’école primaire Albert-de-Mun de Rennes. En blouse blanche et sabots en plastique, il dresse les tables, remplit les assiettes, répond aux questions des enfants, débarrasse, fait la plonge avec ses trois collègues. Toutes des femmes. « Je savais que c’était un métier où il y avait peu d’hommes, mais ce n’était pas un obstacle », dit Steeve Lecoq, titularisé à ce poste l’année dernière après plusieurs CDD dans d’autres services. « Pour une équipe, je crois qu’avoir un peu de mixité, c’est toujours bon. »

A Rennes, lorsqu’il s’agit d’assurer le service dans les cantines, les femmes sont en écrasante majorité. Deux cent soixante-cinq des deux cent quatre-ving-six agents d’entretien et de restauration (AER) de cette collectivité territoriale sont des femmes. Une situation que la ville tente de changer. Depuis 2016, elle s’est engagée dans une politique de mobilité et de recrutement « genrée », essayant d’apporter de la mixité dans des professions où elle n’existe pas.

Une action à valeur de symbole, qui témoigne d’une nouvelle volonté, au sein de certaines collectivités, de prendre leur part dans la lutte contre les stéréotypes sexistes. « Aujourd’hui, donner à manger aux enfants, débarrasser, sont souvent des tâches identifiées comme féminines. Mais elles peuvent être assurées par tout un chacun, et c’est important de le montrer », explique Geneviève Letourneux, conseillère municipale déléguée aux droits des femmes et à l’égalité.

La direction des ressources humaines a mis en place des parcours et des incitations pour attirer des hommes dans certaines professions et des femmes dans d’autres, avec des passerelles entre filières d’emplois, des campagnes de communication interne, des dispositifs de formation, des aménagements de fiches de poste…

« Concrètement, cela veut aussi dire que pour les postes d’AER, à compétences égales, on va désormais favoriser les hommes. L’année dernière, onze ont été recrutés pour ces fonctions. C’est beaucoup plus que les autres années. On valorise aussi dans nos médias des parcours d’hommes qui se sont reconvertis dans ces métiers. On montre qu’ils n’ont pas perdu leur virilité en exerçant ce travail », dit en souriant Geneviève Letourneux.

La ville essaie également d’attirer davantage de femmes dans d’autres métiers dits  « masculins », comme ceux des espaces verts, aujourd’hui effectivement occupés par des hommes. Evelyne Le Targat fut la première femme embauchée dans ce service, au début des années 1980. « Il n’y avait même pas de vestiaires pour femmes. Je me changeais dans une cabane au fond, un vrai boui-boui », se souvient-elle.

« La mixité apporte beaucoup »

Des remarques désobligeantes et des blagues sexistes, elle en a connu. Depuis, elle a vu les choses changer, notamment grâce à la bataille menée pour l’aménagement de vestiaires décents pour les femmes. Aujourd’hui, elles sont quarante-cinq à travailler dans ce service de trois cent cinquante personnes, soit un peu moins de 15 %. « La mixité apporte beaucoup. Surtout dans ce métier, où beaucoup d’hommes envisagent leurs tâches dans une optique de performance, et ne se demandent pas assez comment faire les choses différemment, pour moins s’user physiquement. » Mais Evelyne Le Targat, qui se fait appeler « maman » par les jardiniers de son équipe, s’interroge toujours : « Les gens imaginent que je n’ai pas de féminité. Que je l’ai effacée en faisant un travail masculin. »

Des stéréotypes encore très ancrés, qui expliquent notamment les difficultés rencontrées par la DRH pour trouver un nombre suffisant de candidats. Cette année, la mairie a lancé une campagne de recrutement interne d’agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem), une autre profession très féminisée, avec une offre de préparation au concours, et un message qui ciblait particulièrement les hommes. « Sur les dix personnes qui ont suivi cette préparation, nous avions un seul homme, et, pas de bol, il n’a pas été pris », regrette Samuel Dubois, responsable de l’emploi à la DRH.

Outre le recrutement et la mobilité, la mairie de Rennes travaille aussi sur la réduction de l’écart salarial entre les hommes et les femmes. Un objectif qui est passé en premier lieu par le calcul objectif de cet écart, chiffré à 8,4 %. « Cela s’explique par une moindre représentation des femmes dans les métiers et grades les mieux rémunérés, et par une plus forte proportion de femmes parmi les agents à temps partiel », explique Samuel Dubois, qui a notamment pour objectif de favoriser le passage à temps plein des agents en temps partiel subi. Une situation vécue par Steeve Lecoq, à la cantine de l’école Albert-de-Mun. Lui qui travaille à 90 % aurait « bien aimé avoir un temps plein ». Homme dans un « métier de femme », il en subit aussi les travers.