L’avis du « Monde » – pourquoi pas

Le seizième long-métrage de Gus Van Sant, Nos Souvenirs, présenté en 2015 à Cannes, était si raté qu’une amélioration était inévitable. Et de fait, le dix-septième marque une nette amélioration. Dans la veine des productions les plus conventionnelles du réalisateur (Will Hunting, A la rencontre de Forrester), Don’t Worry, He Won’t Get Far on Foot a au moins le mérite de la cohérence, et le secours d’interprètes qui semblent croire à ce qu’ils font. Manque l’acuité qui semblait pourtant inhérente au matériau sur lequel Van Sant a écrit son scénario. Il s’agit de l’autobiographie de John Callahan, dessinateur humoristique qui se distinguait par un sens de l’humour dépourvu de toute bienséance et par la paralysie de ses quatre membres, qui lui laissait à peine la liberté de croquer ses petits personnages – parmi lesquels le paralytique dont ses poursuivants disent, après avoir retrouvé sa chaise roulante dans le désert, « Ne vous inquiétez pas, il n’ira pas loin à pied » (en anglais, « Don’t Worry, He Won’t Get Far on Foot »).

Si Callahan était paralysé, c’était qu’il avait pris une voiture un soir de beuverie. Et s’il a surmonté sa paralysie au point de devenir artiste à plein temps, c’est qu’il a rejoint les Alcooliques anonymes. Et c’est cette rédemption qui intéresse Gus Van Sant, le rituel des réunions, la dynamique qui anime les groupes, les progrès et les rechutes. Il y a la le matériau d’un chef-d’œuvre, comme le prouvera la lecture de L’Infinie Comédie, de David Foster Wallace.

Inquiétante intensité

Mais pas ici. Comme il lui arrive parfois, Gus Van Sant est très littéral. Il demande à – et obtient de – Joaquin Phoenix qu’il se glisse dans la peau d’un modèle pour tous les addicts, faisant dans le même mouvement œuvre de propagandiste pour l’organisation. L’acteur le fait avec l’inquiétante intensité qui le caractérise. Et au gré de son sevrage, son chemin croisera le personnage le plus intéressant du film, Donnie (Jonah Hill), riche héritier qui a échappé à la toxicomanie, mais pas au sida (l’action se déroule pour l’essentiel dans les années 1980). Hill compose avec beaucoup d’inventivité son personnage d’hédoniste à qui sa guérison de l’alcoolisme et la maladie interdisent le plaisir.

Reste tout ce que le film ne veut pas vraiment mettre en scène, se contentant de le montrer comme ça, en passant : le racisme et le sexisme des dessins de Callahan, la souffrance permanente des survivants, l’absurdité d’une discipline qui mène de toute façon à la même issue que la maladie. On aurait aimé que l’auteur de Prête à tout et d’Elephant se soucie moins de remplir des salles de cinéma (le film semble destiné à une belle carrière commerciale aux Etats-Unis) et plus d’accompagner ses personnages dans les recoins de leurs âmes tourmentées.

DON'T WORRY, HE WON'T GET FAR ON FOOT - Teaser - VOST
Durée : 01:21

Film américain de Gus Van Sant. Avec Joaquin Phoenix, Jonah Hill, Jack Black, Rooney Mara (1 h 53). Sur le Web : www.metrofilms.com/films/dont-worry-he-wont-get-far-on-foot et www.facebook.com/DontWorryMovie