Au Bénin, le cinéma renaît doucement de ses cendres
Au Bénin, le cinéma renaît doucement de ses cendres
Par Michaël Tchokpodo (contributeur Le Monde Afrique, Cotonou)
Trente ans après la fermeture des salles construites par l’Etat, l’inauguration d’un CanalOlympia à Cotonou, en 2017, redonne de l’espoir au secteur.
C’est la première fois que Dorice, 29 ans, va au cinéma. Ce dimanche 25 mars, Black Panther passe au CanalOlympia Wologuédé, à Cotonou. Dans la capitale économique du Bénin, le film des studios Marvel fait salle comble, et qu’importe qu’il soit sous-titré : « Black Panther mérite d’être vu et revu. J’en ai tellement entendu parler que j’ai décidé de venir enfin le voir. C’est exceptionnel, surtout avec cette majestueuse salle de cinéma », s’excite Dorice à la fin de la projection, alors que des jeunes débattent bruyamment de la vaillance du roi du Wakanda.
Quelques curieux s’offrent un tour de l’espace culturel. « Pour l’avant-première de Black Panther et la semaine qui a suivi, il y avait tellement de spectateurs que la vente des tickets était terminée à 15 heures pour une projection prévue à 20 heures ! », s’enthousiasme Davilia, à l’accueil, en montrant quelques vidéos sur son smartphone. Inaugurée le 8 décembre 2017, la salle de cinéma et de spectacles CanalOlympia Wologuédé propose chaque semaine une vingtaine de projections de films récents et des avant-premières, essentiellement de productions américaines et françaises.
« Ça vaut le détour »
A Cotonou, avant cette initiative du groupe français Vivendi (qui a déjà ouvert des salles de cinéma au Cameroun, en Guinée, au Niger, au Burkina Faso, au Sénégal et au Togo), quelques locaux opéraient déjà dans le secteur.
C’est le cas du Millenium Théâtre Multimédia, un cinéma fonctionnel depuis une dizaine d’années mais peu connu du grand public. D’une capacité d’accueil de 100 places, il propose des séances au tarif de 3 000 francs CFA (environ 4,50 euros). « Au début, nous faisions trois séances par semaine. Mais vu la faible affluence, nous sommes passés à deux. Actuellement, nous avons arrêté pour réaménager nos offres », confie la gérante de la salle, Diane Ohin, pas indifférente à l’assaut de CanalOlympia.
Toujours à Cotonou, l’espace Tchif, centre culturel polyvalent, a rouvert ses portes il y a six mois. Il s’investit dans la promotion du cinéma béninois et africain et tente de remplir ses 100 places au tarif individuel de 1 000 ou 2 000 francs CFA. Sa dernière projection sur la cybercriminalité, un fléau pourtant d’actualité au Bénin, n’a rassemblé que dix personnes. « Malheureusement, au Bénin, on préfère mettre des billets sur la tête des danseurs ou s’inviter à une table de bières plutôt que payer une place de cinéma », ironise Adrien Guillot, directeur de l’espace Tchif, pour justifier la faible fréquentation.
Au CanalOlympia, pourtant, l’affluence est en hausse. La projection de Criminal Squad, mercredi 21 mars, a rempli la moitié de la salle, d’une capacité de 300 places. Celle-ci est aux normes internationales, avec des équipements numériques modernes, un écran de 15 mètres de long sur 6 mètres de haut et des sièges confortables. « D’habitude, je n’aimais pas regarder des films seul. Mais avec l’ambiance de cette salle, ça vaut le détour, raconte Dodji, qui a payé sa place 1 500 francs CFA. Il n’y a pas de différence avec les cinémas européens. »
CanalOlympia organise cinq séances par jour entre 11 heures et minuit, du mardi au dimanche. En journée, ce sont plutôt des comédies dramatiques, des documentaires ou des films familiaux, avant de laisser la place à des thrillers en soirée.
« Manque de vision »
Au Bénin, cela fait plus de trente ans que les salles de cinéma construites par l’Etat ont projeté leurs derniers films. Quelques-unes sont parfois louées pour des cérémonies religieuses ou des fêtes privées, les autres sont restées fermées. Pour relancer l’industrie cinématographique, l’Etat avait lancé en 2013 un processus de réhabilitation de deux salles à Cotonou (le Concorde et le Bénin) et de trois autres dans le nord du pays. Las, malgré la fin des travaux, elles n’ont toujours pas été rouvertes au public.
« Le gouvernement manque d’ambition et de vision. L’industrie cinématographique n’existe pas chez nous. C’est le rôle de l’Etat de remettre les salles en marche », fustige le cinéaste Sylvestre Amoussou, étalon d’argent au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), en 2017, avec sa fiction L’Orage africain.
Depuis l’élection de Patrice Talon à la présidence du pays, en 2016, « l’Etat envisage une nouvelle stratégie, qui est la mise en gérance des salles de cinéma », explique Eric Todan, directeur du Centre national du cinéma et de l’image animée : « Au lieu de jouer le rôle de commerçant, l’Etat va transmettre la gestion de ces salles à des spécialistes privés. En contrepartie, une part des bénéfices sera versée à l’Etat. »
Le 21 février, le ministre de la culture, Oswald Homéky, a rencontré les acteurs culturels béninois, à qui il a présenté son plan de relance du secteur des arts et de la culture. S’agissant du cinéma, il a annoncé l’actualisation du Code de la cinématographie, l’accompagnement de la professionnalisation du secteur, la programmation et la diffusion des productions béninoises dans les communes et le soutien à l’accès au marché sous-régional.