Slovaquie : cinquième vague de manifestations depuis l’assassinat d’un journaliste
Slovaquie : cinquième vague de manifestations depuis l’assassinat d’un journaliste
Par Arthur Carpentier
Près de 30 000 personnes ont défilé à Bratislava pour demander le départ du chef de la police et réclamer des élections anticipées.
Des bougies sont déposées devant la photo du journaliste Jan Kuciak et de sa compagne Martina Kusnirova, au cours d’une manifestation à Bratislava le 9 mars. / RONALD ZAK/AP
Plus d’un mois après le meurtre par balles du journaliste d’investigation Jan Kuciak et de sa compagne Martina Kusnirova, l’attitude du gouvernement slovaque continue d’alimenter le mécontentement d’une partie de la population. Jeudi 5 avril, pour la cinquième fois, des manifestations ont été organisées dans une douzaine de villes de ce pays de 5,4 millions d’habitants. Dans les rues de la capitale, Bratislava, près de 30 000 personnes ont défilé, selon le quotidien SME. Les slogans lancés contre le gouvernement y ont alterné avec les minutes de silence à la mémoire du reporter et de sa fiancée.
« Nous marcherons encore autant de fois que nécessaire pour obtenir ce que nous réclamons », assure Jan Galik, l’un des organisateurs de Pour une Slovaquie décente, le principal mouvement citoyen à l’origine des manifestations. Les précédents rassemblements, les plus importants depuis ceux qui précipitèrent la chute du régime communiste en 1989, avaient déjà réuni des dizaines de milliers de personnes dans plusieurs villes du pays.
La démission de Robert Fico, premier ministre et homme fort de la Slovaquie, le 14 mars, n’a pas suffi à calmer la contestation. « Nous nous battrons jusqu’à ce qu’à ce que le chef de la police soit remplacé, avec un nouveau processus de sélection dans lequel le ministre de l’intérieur n’a pas son mot à dire », tonne Dominik. Ce Bratislavien participait à sa quatrième manifestation, et souhaite avant tout que soit élucidé le meurtre du reporter. Avant son assassinat, le journaliste enquêtait sur des liens entre la mafia calabraise, en Italie, et les politiques slovaques.
Mais les revendications d’une partie des protestataires vont au-delà de cette simple demande. « La population veut plus de transparence de la part des institutions politiques, estime Daniela, dans le cortège pour la deuxième fois. C’est un sentiment de frustration qui traverse toute la population. »
« Commencer à rétablir la confiance »
La lenteur de l’enquête alimente la méfiance des manifestants envers des institutions déjà décrédibilisées par les scandales de corruption. Le pouvoir judiciaire, quant à lui, est traditionnellement accusé d’être soumis au pouvoir politique. Et l’enquête patine : si le parquet estime que le meurtre de Jan Kuciak a probablement été commandité, la police ne semble avoir identifié aucun suspect.
Le chef de la police, Tibor Gaspar, est jusqu’à présent parvenu à se maintenir à son poste, malgré les critiques sur l’efficacité de ses services et les accusations de conflits d’intérêt. Mais sa démission, réclamée par l’opposition et les manifestants, ne semble plus être qu’une question de jours. Le président, Andrej Kiska, un libéral en froid avec le gouvernement populiste de gauche, l’a lui-même évoquée, en faisant une « question cruciale afin de commencer à rétablir la confiance ».
Une vendeuse vend le magazine de rue Nota Bene. En une, les manifestants réclament le départ du chef de la police Tibor Gaspar pendant la manifestation du 5 avril, à Bratislava. / JOE KLAMAR/AFP
La coalition au pouvoir, au plus bas dans les sondages, se satisferait pleinement d’une telle solution, alors que les appels à des élections anticipées se font de plus en plus pressants et que les liens de plusieurs dirigeants avec le crime organisé ont été exposés. Le ministre de l’intérieur, Robert Kalinak, a servi de premier fusible le 12 mars. Quelques jours plus tard, le premier ministre, Robert Fico, a donc plié à son tour, se résignant à la démission.
Le chef de gouvernement déchu a toutefois obtenu que son successeur soit choisi dans les rangs de son parti (SMER-SD, sociaux-démocrates), et non dans les deux autres partis de la coalition, le SNS (extrême droite) et Most-Hid, formation de la minorité hongroise. Il a surtout écarté la possibilité d’élections anticipées. Une partie de la population voit dans le nouveau premier ministre, Peter Pellegrini, un pantin aux ordres de M. Fico.